Catégorie : ÉTUDES ET DOSSIERS


Le Ventennio fasciste saint marinais et ses émissions postales - 1922-1946.

Rédigé par Antoine Sidoti d’après l’ouvrage « Histoire du fascisme de la République de Saint –Marin », aux éditions Non Lieu, Paris, 2020.


jeudi 1 avril 2021


Fig. 1: Premier numéro d’Il Popolo Sammarinese du 15 août 1926.


    Au printemps 1922, dans la République de Saint-Marin (RSM), naît le Parti National Saint-Marinais (PNS), prélude à la fondation du Parti Fasciste Saint-Marinais (PFS). Ce dernier, institué le 10 août suivant édite à partir du 15 août 1926 son journal Il Popolo Sammarinese (1), avec un en-tête arborant deux impressionnants faisceaux du licteur, qui, dessinés par l’artiste italien Luigi Pasquini, enserrent l’image du Mont Titan (2). Organe officiel du Parti et porte-parole du Régime, il est ainsi titré à l’imitation du journal mussolinien Il Popolo d’Italia. Entre temps, le fascisme saint-marinais avait vécu sa vie publique sur le journal La Penna fascista (La Plume fasciste) de Rimini, ville proche qui, chaque semaine, lui réservait un espace sous la rubrique intitulée « Corriere fascista dai Castelli repubblicani » (Courrier fasciste des Châteaux républicains).

    I – LE FAISCEAU DU LICTEUR

    Les régimes fascistes, notamment, en Italie, se sont appropriés le faisceau du licteur comme symbole de leur autorité et de leur puissance. Il est largement représenté sur les timbres. Mais, comme les numismates le savent bien, sans remonter à la Rome de l’antiquité, l’image du faisceau du licteur n’est pas une invention fasciste. Le revers des monnaies de l’éphémère République romaine de Mazzini et Garibaldi en 1849 en montre même deux : un, avec hache et, un second, avec lance (fig.3a ci-dessous).

       Fig.2: Badge du parti
       fasciste Saint Marinais.

                  
    Au cours du XVIIIe siècle à Gênes (1797), Venise (1797), Naples (1799), au Piémont (1798-1799), l’inscription « Liberté » est associée à l’image de la femme-Liberté soutenant ce symbole ; plus rarement, le faisceau apparaît aussi parfois seul, comme c’est par exemple le cas de Mantoue pour la République Cisalpine en 1797-1802.

    Dans le domaine numismatique, nous rencontrons le même phénomène à Saint-Marin, où, associé au mot latin « Libertas » dont se pavane l’oligarchie locale, ce symbole est apparu sur des monnaies de la fin du XIXe siècle : un 10c. en bronze de 1875 et la même valeur en cuivre en 1893 et 1894 (fig.3b ci-dessous).
                       
    Plus récemment, il en avait été de même en philatélie avec un timbre exprès de 25c., émis le 25 avril 1907, à une époque où il n’était pas encore question de fascisme. Dessinée en style Liberty par Valerico Lancetti, on voit à droite de la figurine postale l’image de la Liberté tenant le faisceau dans sa main gauche : elle est alors l’illustration de la fermentation politique qui le 25 mars 1906 a fait souffler un vent démocratique contre la caste oligarchique qui gouverne le pays depuis toujours (4a).


Fig.4 a : Timbre.
exprès de 1907
   commémoratif de
la date historique
du 25 mars 1906.
Fig. 4b et 4c. Timbres exprès de 1907 avec
surcharges du26 juillet 1923 et du 15 septembre 1927.



Plus tard, une fois le fascisme au pouvoir, le régime en détourne le sens en s’appropriant la figurine quand il surcharge la valeur à deux reprises (typographie, Della Balda, Saint-Marin) : de 60c./25c., le 26 juillet 1923 (4b), et de 1.25 lires sur 60/25c., le 15 septembre 1927 (4c).

    II – GIULANO GOZI CAPITAINE REGENT DE SAINT MARIN

    En Italie la marche fasciste sur Rome, commencée le 27 octobre 1922, débouche le 31 sur la prestation de serment de Mussolini comme Président du Conseil. Elle marque le début de ce que l’histoire désigne comme le Ventennio par antonomase, vingt années de gouvernement ininterrompu jusqu’à la chute du Duce, le 25 juillet 1943. Ce que l’on sait moins, c’est qu’un Ventennio tout aussi fasciste et totalitaire eut également cours dans la petite République pluri centenaire de Saint-Marin (61.196 km2), sous l’autorité du duce Giuliano Gozi (7 août 1894-18 janvier 1955) (5). Intronisé le 1er avril 1923 comme Capitaine Régent pour l’exercice d’un premier semestre, puis à nouveau à quatre reprises pour une même période (en 1926-1927, 1932, 1937, 1941), c’est en cumulant plusieurs charges que Giuliano Gozi détient l’essentiel des pouvoirs. Il est principalement Secrétaire d’État indétrônable : aux Affaires Étrangères de 1918 à 1943, et à l’Intérieur par intérim de fin 1922 à 1943 dont dépendent aussi les Finances. Sans toucher au formalisme héréditaire et suranné de l’exercice du pouvoir, dont le Capitanat semestriel de la Régence est une expression phare, sans bouleverser formellement non plus l’apparat institutionnel, Giuliano Gozi est secondé dans sa tâche par les membres de sa famille, frères, petits fils, cousins et par ceux d’autres familles parfois apparentées avec elle. Son ascension est favorisée par la permanence de conditions économiques et sociales difficiles auxquelles vient s’ajouter l’importante crise politique à l’aube du XXe siècle. Celle-ci débouche sur l’avènement du fascisme, facilité en cela par la discorde généralisée dans tous les partis. Il s’en suit une montée progressive du PFS, qui, aux élections du 28 août 1932, obtient une première victoire totalitaire avec l’éclatant 100% des voix exprimées, à l’exclusion d’un bulletin annulé « par mégarde ». Ce succès est confirmé avec le score de 100% des voix exprimées aux élections suivantes du 29 mai 1938. Ce régime s’effondrera soudainement, comme un château de cartes le 28 juillet 1943, sous la pression populaire, trois jours après la chute de Mussolini en Italie, fait arrêter par Victor-Emmanuel III le 25 juillet, à la sortie d’un entretien avec lui.

    III - LES PREMIERES EMISSIONS AU SERVICE DE L’AUTOCÉLÉBRATION DU POUVOIR ÉMETTEUR

    Mises à part les figurines de 1923 sans lien direct avec l’arrivée au pouvoir de Giuliano Gozi, les émissions qui se succèdent au fil des ans ont toutes une connotation d’autocélébration du pouvoir émetteur, qu’il s’agisse de la célébration d’un personnage, d’un évènement dit historique, ou des œuvres dites du régime.
Et que le symbole du faisceau du licteur apparaisse sur une figurine, ou qu’il n’apparaisse pas, cela ne change rien à l’intention de propagande qui en est à la base.

Sachant que Giuliano Gozi venait d’être intronisé le 1er avril 1923 comme Capitaine Régent pour son premier exercice à cette charge, la lettre recommandée du 14 octobre ci-dessous a un goût particulier car elle est adressée à « Gozi Clizia, Rimini ». La destinataire n’est autre que Clizia Ravezzi, épouse de Gino Gozi, l’un des cinq frères Gozi qui gouverneront le pays pendant le Ventennio. (6).
                              Fig. 5 Photo de Giulano Gozi
                              en habits de Capitaine Régent.



Fig.6: Lettre recommandée du 14 octobre 1923 adressée à Clizia Gozi, épouse d’un des cinq frères Gozi.

Un des événements historiques, ressassé année après année, dont Saint-Marin se dit particulièrement fier, quel que soit d’ailleurs le pouvoir en place jusqu’à nos jours compris, est le « sauvetage » de Garibaldi, le 31 juillet 1849. Venant de Rome et poursuivi par les Autrichiens, ce dernier était entré quelques heures seulement en territoire saint-marinais avec ses compagnons d’armes et son épouse Anita sans avoir demandé auparavant, la permission des autorités du pays. Et pour cause, la population ne voulait pas de celui qu’elle qualifiait de mécréant, de diable rouge.

Deux émissions postales voient le jour. La première, pour célébrer le 75e anniversaire de ce sauvetage, le 25 septembre 1924, dont les deux illustrations des cinq valeurs qui la composent montrent, l’une, un portrait de Garibaldi (7), l’autre la Liberté déployant son manteau pour protéger un combattant épuisé portant un bouclier, qui se repose à ses pieds (8).





fig.7 et 8 : Emission du 25 septembre 1924,à gauche, effigie de Garibaldi, à droite la Liberté.

La seconde émission est mise en circulation le 30 juillet 1932 pour célébrer le 50e anniversaire de la mort de Garibaldi. Les deux illustrations des huit valeurs qui la composent montrent : la première est un portrait du Héros des Deux-Mondes. Il se trouve sur le côté gauche du timbre. A droite figure le texte de l’ordre du jour par lequel Garibaldi avait demandé à ses compagnons de rentrer chez eux. Entre les deux parties, un faisceau du licteur (9a) ; la seconde illustration, sans faisceau du licteur, présente une adaptation de la “réécriture” de l’accueil de Garibaldi, où, descendu de cheval, devant la porte principale de la ville de Saint-Marin, la fameuse Porta San Francesco (Porte Saint François), Garibaldi est ostensiblement invité à y pénétrer par un geste théâtral de la main du Capitaine Régent Domenico Maria Belzoppi (9b).

La mise en scène est parfaitement inexacte rapportée à l’histoire, car, dans la réalité, ce n’est ni là, ni même au Palais du Gouvernement que Garibaldi rencontre le Capitaine Régent Belzoppi, – qui à titre personnel n’était nullement hostile au Héros des Deux-Mondes –, mais dans la maison de l’un de ses amis (l’ancien Régent Filippo Filippi) pour justement éviter de le recevoir “officiellement” dans le haut-lieu symbolique du pouvoir de la République. Le personnage mythique à la droite de Belzoppi est Nicola Zani (dit Badarlòn), que Garibaldi n’a pas non plus rencontré là, mais qui, la nuit venue, le guidera à travers champs et collines jusqu’à la côte adriatique pour faciliter sa fuite pendant que les Autrichiens pénétraient à Saint Marin.

Entre esprit d’assimilation des chemises noires fascistes aux chemises rouges garibaldiennes, et adaptation des faits, c’est un des exemples qui montre comment le régime saint-marinais s’approprie l’histoire du pays dans le but affiché de s’en réclamer l’héritier légitime.

   
Fig. 9 a et b: Emission du 30 juillet 1932 pour le 50ème anniversaire de la mort de Garibaldi.


    IV – LA CELEBRATION DES PERSONNAGES

    La célébration du centenaire de la mort d’Antonio Onofri (1759-1825) est aussi l’occasion de s’approprier l’aura de ce Père de la Patrie, avec l’émission de huit valeurs de petit format pour le service intérieur. Mises en circulation le 29 juillet 1926 (10a), elles sont illustrées avec une unique image montrant l’intéressé d’après un tableau de Pietro Tonnini (1820-1894).

    Fin diplomate, Antonio Onofri a été un personnage central de la scène politique saint-marinaise à une époque qui voyait la montée et la chute de Napoléon Bonaparte ; grâce à lui, les Capitaines Régents avaient refusé « sagement » le 12 février 1797 l’agrandissement territorial de la République proposé par Napoléon (le 8 février 1797), n’acceptant comme cadeau qu’un peu de blé pour faire face à la disette. Célébré avec un an de retard sur la date réelle, l’événement donne lieu à des festivités. Comme les jeux du cirque d’antan chez les Romains, ces fêtes sont récurrentes et chères au régime. Tout au long du Ventennio elles se déroulent, à quelques variantes près, en présence des autorités locales et de personnalités étrangères. Le programme est fait de cortèges, défilés, musique, discours, son des cloches des églises et de la Tour, feux d’artifices, bals, sans oublier les messes et autres bénédictions ecclésiastiques de fanions du Parti au pouvoir.

         
Fig. 10 a :
Émission du 29 juillet 1926.
Fig.10 b surcharges du 10 mars 1927.


Fig. 10 c Surcharges du 14 avril 1936.



    C’est Giuliano Gozi qui prononce le discours en cette circonstance, discours qui, sur la demande du Conseil, sera affiché dans l’Aula Magna (grande salle, salle d’apparat) du Palais du Gouvernement. Somme toute assez morne et peu avantagée par le petit format du timbre, il y a aussi dans cette image d’Antonio Onofri l’inscription latine, peu visible sur le fond noir de l’ovale : PATRI à gauche (au Père) et PATRIÆ à droite (de la Patrie), surnom mérité pour avoir notamment sauvegardé l’indépendance et la liberté de la République face à la dangereuse action du cardinal Giulio Alberoni (1664-1752) en 1739-1740 (10a).
    Plus tard, quatre valeurs de la série sont surchargées pour en corriger la valeur faciale (typographie, Della Balda, Saint-Marin) : – Une première fois, le 10 mars 1927 : 1,25 sur 1 L. ; 2,50 sur 2 L. ; 5 L. sur 2 L. Ajoutons que treize points noirs oblitèrent par ailleurs le libellé POUR L’INTÉRIEUR dans le côté inférieur droit du cadre de l’ovale, destinant ainsi les valeurs à l’international (10b). Selon Il Bollettino Filatelico du 31 mars 1927 : « Ces timbres – dont l’administration saint-marinaise ne devait certainement pas ressentir le besoin, furent voulus par des exploiteurs de la philatélie – ils ont tous disparu le jour même de leur émission ».
– Une seconde fois, le 14 avril 1936 : 80 c. sur 45 c. ; 80 c. sur 65 c. (10c).

    Un autre personnage illustre dont le régime s’approprie l’aura est « Melchiorre Delfico, historien » (1774-1835), auteur des Mémoires historiques de la République de Saint-Marin (Le Memorie storiche della Repubblica di S. Marino), publiées en 1804. Il a les honneurs d’une importante émission philatélique concomitante à l’inauguration d’une statue en bronze de son personnage, réalisée pour l’occasion et érigée sur une placette de la ville nouvelle de la Saint-Marin fasciste, dans le prolongement sud de la vieille ville. Deux images illustrent les douze valeurs émises le 15 avril 1935 pour commémorer le centenaire de la mort de Delfico. Elles montrent : la première, le portrait de l’intéressé, dont l’original (réalisé vers 1847) de Pietro Tonnini se trouve de nos jours dans le Musée d’État de Saint-Marin (11a). La seconde, la statue réalisée d’après un dessin d’Enrico Saroldi qui sera inaugurée le 1er septembre (11b) dans le cadre du lancement du vaste plan d’urbanisme extérieur, les 31 août-1er septembre 1935 (11c).

                                 
Fig. 11 a et b : émission du 215 avril 1935 à l’effigie de Delfico et sa statue.


    La série plaira à Il Corriere Filatelico qui la qualifie de « graziosa » (charmante) dans son numéro du 30 avril 1935. Plus que simple historien comme pourrait le laisser croire le libellé évoqué, Delfico était philosophe, économiste et homme politique italien, et pour tout dire, un homme éclairé du Siècle des Lumières, qui, inspiré par de profondes convictions démocratique avait été vraisemblablement Franc-maçon, une organisation particulièrement honnie par le fascisme. Mais, le régime avait jugé mieux de se l’approprier en le célébrant sans trop se soucier de certains détails.
Une des figurines avec la statue de Delfico sera surchargée le 14 septembre 1942 (typographie, Della Balda, Saint-Marin), pour en corriger la valeur faciale, qui passera alors de 75 centimes à 20 lires (11d, ci-contre).


Fig. 11 d.

Fig. 11 c Il Popolo Sammarinese du 31 août 1935.


    V – LES AUTRES EMISSIONS DES 1927/1928

    Auparavant, la première œuvre prestigieuse dite du régime était illustrée par l’émission du 28 septembre 1927. Elle intervient la veille de l’inauguration de l’Ara dei Volontari : un “Autel des Volontaires” bâti tout au nord de la vieille ville pour commémorer « les Saint-marinais qui avaient combattu et étaient morts pour la rédemption de l’Italie ». Les trois valeurs émises ont une illustration identique où l’on voit : comme image principale, le monument avec sa longue stèle pointant vers le ciel et ses rampes latérales. Sa structure pompeuse et massive respire l’air caractéristique du Ventennio local et sa connivence avec celui de son illustre voisin italien qui brillait dans ce genre d’architecture solide et imposante. L’image, à gauche représente les Maisons et la Tour des Milices, restaurées à cette occasion (12a). L’illustration parue dans Il Popolo Sammarinese du 29 septembre 1927 reproduit mieux que l’image du timbre l’air d’époque qui se dégage de l’ensemble de ces œuvres (12b).

    Dans une Saint-Marin imprégnée de catholicisme, dont le fondateur est un saint, un monument d’essence chrétienne a toutes les chances pour devenir une œuvre du régime. Cela encore mieux si le gouvernement peut faire supporter les frais de sa construction aux Franciscains, aux paroisses ou d’autres communautés religieuses. C’est ce qu’il propose en effet dans un premier temps, sans y parvenir, jusqu’à ce que, obligé de mettre fin aux polémiques virulentes qui s’en étaient suivies, Giuliano Gozi stoppe les frais, sans mauvais jeu de mots, en prétextant une mauvaise interprétation des faits et met simplement à contribution le maigre trésor de l’État. Il s’agit du monument érigé pour la célébration du VIIe centenaire de la mort de saint François d’Assise. Émises le 2 janvier 1928, les quatre valeurs qui composent la série sont illustrées de deux images. Sur la première, se dresse la fine et haute colonne au sommet de laquelle, dans l’édicule, trône la statue du saint, et au second plan le couvent et l’église des Capucins, depuis le portique de laquelle Garibaldi avait lu son ordre du jour le 31 juillet 1849 (13a). Sur la seconde illustration, la mort du saint homme est transformée en apothéose : allongé sur le sol, François apparaît déjà comme détaché de ce monde, comme s’il planait dans les airs, sous le regard joyeux de deux jeunes capucins à ses pieds ; depuis le coin supérieur gauche, une rangée d’anges vient le chercher pour l’accompagner au Ciel ; plein d’oiseaux volent à l’horizon. Le soleil brille au centre, entre les deux monts dessinant le profil du col d’Assise à droite et celui du Mont Titan à gauche (13b). Cela étant, on ne peut s’empêcher de supposer que la fine stèle et la statue du Saint, invisible à son sommet sur le timbre (13c), semble intéresser relativement peu l’émetteur.

    VI - LA CONTINUITE IDEOLOGIQUE

    D’une œuvre du régime à l’autre, la série va se poursuivre permettant au pouvoir en place d’imprimer sa marque. Citons le Petit Palais de la Poste, – « Palazzetto della Posta », dit la légende sous l’image –, dont cinq valeurs sont émises le 1er février 1932 (14a) pour en célébrer l’inauguration (14b).

    Certaines valeurs seront bientôt surchargées (typographie, Della Balda, Saint-Marin) :
    - pour le 20e Congrès philatélique italien à Bologne (quatre valeurs, le 27 mai 1933) ;
    - pour la Mostra philatélique de la Fiera de Milan (quatre valeurs, le 12 avril 1934) ;
    - et pour être apposées sur une Carte d’Identité Postale internationale (deux valeurs, également le 12 avril 1934) (14c).
    Bâti entre 1929 et 1932 en lieu et place de la Domus Parva Communis (Petite Maison de la Commune) datant du XIVe siècle, et voulu par Giuliano Gozi, le Palais donne sur le Pianello (littéralement : Petit lieu plat alias Place de la Liberté), situé juste en face du Palais du Gouvernement et de la statue de la Liberté de Stefano Galletti. Celle-ci, offerte par Otilia Heyroth Wegener en 1876, est située au milieu de la place (14b). Le bâtiment est de nos jours le siège du Secrétariat d’État pour les Affaires de l’Intérieur, la Fonction Publique, la Justice et les Conseils de Castello (circonscription).

Arrêtons-nous sur l’émission consacrée au chemin de fer électrique reliant Saint-Marin à Rimini. Cette œuvre est « considérée comme la plus prestigieuse du fascisme à Saint-Marin, [don de Mussolini, mis sur le compte du Trésor de l’État italien], couronnement d’un rêve caressé depuis longtemps dans le pays et qui n’avait jamais pu être réalisé auparavant à cause d’insurmontables difficultés financières ». Venant de Borgo Maggiore (nord-est du Mont Titan) et après avoir traversé la capitale du nord au sud par le côté ouest jusqu’à la hauteur de la Troisième tour (le Montale), la ligne remonte vers le nord avant d’atteindre son terminus. L’inauguration, le 12 juin 1932, est précédée de la mise en circulation, la veille, de quatre valeurs avec une illustration unique. On y voit un train à l’arrêt au terminus de la gare de la Ville et, plus haut à droite, le sommet du Mont avec une vue partielle des murailles et de la Première Tour de la ville historique (15a). Encore plus petite et nullement reconnaissable en l’état sur les figurines (15b), ce qui ressemble à une petite tache d’encre, verticale et plus foncée, au centre de l’avant de la motrice, entre les deux feux : il s’agit en réalité d’un faisceau du licteur, ouvragé, en bronze, qui était fixé sur l’avant et l’arrière des motrices du dénommé “Train blanc-bleu”, d’après les couleurs du drapeau de la République. Ce faisceau est dessiné à la manière italienne et non saint-marinaise, expression d’un acte de reconnaissance et de dépendance envers le généreux donateur fasciste italien (15b). La motrice restaurée en 2011-2012 stationne de nos jours pour le souvenir et comme objet touristique à l’entrée du tunnel Montale, peu avant le terminus de la gare de la Ville (15c). Elle a perdu ce symbole fasciste, qui a été remplacé par un ouvrage illustré avec les trois tours surmontées de la classique plume d’autruche. Le même effacement a été pratiqué pour le blason en pierre du pays qui orne toujours le sommet de la voute extérieure de l’entrée du tunnel Montale, mais sur lequel le bas-relief du faisceau du licteur a disparu par évidement.

    Une autre œuvre du régime figure sur les sept valeurs émises le 7 février 1932, où sont reproduites la Deuxième Tour et une section des murailles de la ville historique, largement restaurées à cette date par le pouvoir en place. Si l’image est l’expression d’une autosatisfaction somme toute compréhensible pour le travail accompli, l’intention première est ailleurs, d’ordre idéologique : il s’agit de célébrer le XIIe anniversaire des Faisceaux saint-marinais, dont deux exemplaires encadrent l’image centrale, l’un à droite et l’autre à gauche (16a). Présente sur le timbre et bien visible sur la carte postale d’époque publiée après la restauration des lieux, on distingue bien la plume d’autruche. Elle trône sur le sommet de la tour, qui, avec celle de chacune des deux autres tours historiques du Mont, symbolise la permanence de la République (16b). C’est celle-là même qui illustre la couverture de notre Histoire du fascisme de la République de Saint-Marin, le livre où le lecteur trouvera présentées dans leur contexte et analysées dans le détail les deux expressions étatiques par excellence, particulièrement choyées par le régime : les émissions postales et numismatiques qui ponctuent l’ascension et la chute du pouvoir (16c).

    Une autre tour, la fameuse Première Tour (alias La Rocca) apparaît dans huit valeurs d’une série émise le 28 mars 1929 (17a). S’y trouvent réunis les trois symboles majeurs de la République surmontés de la plume d’autruche dont l’image apparaît aussi dans le filigrane du papier. Cette série est complétée par quatre timbres à l’image d’un buste de la Liberté– reproduction d’une œuvre du sculpteur florentin Vittorio Pochini (1800-1900), aujourd’hui dans le Musée d’État de Saint-Marin (17b) –, ainsi que six valeurs à l’image du Palais du Gouvernement (17c). Vient s’ajouter, à l’heure fasciste, le faisceau du licteur, qui apparaît deux fois encadrant l’image centrale des dix-huit valeurs émises. Une dix-neuvième de 3.70 lires voit le jour le 15 avril 1935 représentant le Palais du Gouvernement. (17d)

    Cette série du Ventennio, est complétée le 29 août par deux valeurs « exprès » de grand format horizontal ; l’une avec l’inscription en rouge « Union Postale Universelle », toutes deux avec un seul faisceau du licteur sur le bord droit (18). Au centre, figure le sommet du Mont Titan avec la ville de Saint-Marin qui s’étend sur son flanc occidental à l’ombre de ses trois tours historiques, de gauche à droite : la Première Tour (ou Guaita, ou Rocca), la Deuxième Tour (Cesta, ou Fratta), et la Troisième Tour (ou Montale).






Fig. 12 a et b : ci-dessus photographie parue dans Il Popolo sammarinese le 29 septembre 1927, à gauche, le timbre émis le 28 septembre 1927.


Fig. 13 a et b :            Fig. 13 c: l’édicule
les deux timbres
              avec la statue
émis le 2 janvier          de saint François. 
1928 pour le 7ème centenaire
de la mort de saint François d’Assise. 

Fig. 14 a et b: Le petit bâtiment des postes à Saint Marin et une photographie de l’inauguration dans Il Popolo Sammarinese du 14 février 1932. >

Fig. 14 c: les trois valeurs surchargées en 1933 et 1934 du timbre Petit Palais de la Poste.  Fig.15a Terminus de la gare de Saint Marin: carte postale, timbre et détail montrant le sommet du Mont Titan et les murailles.  Fig 15b A gauche, faisceau du licteur situé à l’avant de la motrice.  Fig. 15c Train blanc– bleu à l’entrée du tunnel Montale.  Fig.16 a, b et c Carte postale ancienne de la Deuxième Tour (Cesta).
Couverture du livre.
Emission du 7 février 1935.



Fig.17 a, c, d  La Rocca de  Saint Marin,  et le Palais du  Gouvernement  28 mars  1929. 

Fig. 18 Valeurs exprès d’août 1929. 

Fig.17b La Liberta de Pochini. 
   

    VII – LE PALAIS DU GOUVERNEMENT

    Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est seulement la deuxième fois que le Palais du Gouvernement, cœur palpitant de l’histoire saint-marinaise, est illustré sur une émission philatélique du pays. La première fois, c’est dans le lointain 30 septembre 1894, pour célébrer l’inauguration du Palais qui vient d’être restauré. C’est alors sous trois formes. Premièrement, sur trois timbres-poste, reproduisant chacun une image différente du Palais, deux vues de l’extérieur, une de l’atrium (19) : c’était la première série de timbres commémorative émise en Europe et parmi les premières dans le monde.

                               

Fig 19: Les trois timbres « palais du gouvernement » émis le 30 septembre 1894. 

Deuxièmement, sur une carte postale de 10 centimes représentant le Palais. Sur les exemplaires de 1 à 50 000 figurent les lettres « VR » à droite des petits médaillons sous l’image du Palais(20). (NDLR: ces lettres pourraient être les initiales de l’illustrateur, peut-être le Milanais Virgilio Ripari (1843-1902) ou Emilio Retrosi (1858-1911) auteur de la fresque de salle du Conseil Prince et Souverain, mais dans ce cas, pourquoi pas « ER » ? Ces hypothèses restent à confirmer). Les lettres « VR » ont disparu sur le second tirage, cartes numérotées de 50 001 à 100 000 (21).



Fig.20: Carte postale éditée 
le 30 septembre 1894 
représentant le Palais, 
exemplaire n°14513 avec 
à droite du médaillon 
les initiales « VR ». 
Fig.21: La même carte postale de la série supérieure à 50 000, sans les lettres « VR » à droite du médaillon. 






    Précisons que les deux médaillons montrent les Capitaines Régents Pietro Tonini à gauche (barbe blanche) et Franceso Marcucci à droite. En réalité, seul Marcucci était en exercice à ce moment-là, car Tonini principal artisan du nouveau Palais était décédé quelques mois auparavant.

        Troisièmement, sur une enveloppe postale grand format (160 x 215 mm) de 5 lires, tirée à 2000 exemplaires, sans valeur affichée, le produit étant dévolu à l’Hôpital de la Miséricorde de la ville de Saint-Marin :



    C’était la première émission de bienfaisance au monde, la première émission commémorative de l’aire italienne, la troisième en Europe (22).


Fig.22: L’enveloppe grand format, 
représentant le « Palais du gouvernement » 
éditée le 30 septembre 1984. 


    Pendant les grandioses manifestations de l’inauguration, l’hymne officiel de la République composé par Federico Consolo, qui s’inspira d’un ancien chant monastique, est exécuté pour la première fois.

L’émission de poste aérienne du 11 juin 1931 montre le Mont Titan avec à ses pieds la ville de Borgo Maggiore, d’où le 28 juillet 1943 partira la foule se dirigeant au Palais du Gouvernement pour causer la chute du régime. La prise de vue est différente de celle de l’émission du 29 août 1929 pour la poste aérienne exprès (voir le Lien d’avril 2021, n°131). Les dix valeurs qui composent cette nouvelle série reproduisent toutes le même visuel : en plus du paysage évoqué, un aigle majestueux aux ailes déployées le domine, le regard aux aguets comme pour repérer une proie et ses serres puissantes prêtes à s’en saisir (23).

Ce puissant et farouche volatile n’est pas un symbole en usage dans la République ; il lui est d’ailleurs si étranger qu’on aura du mal à en trouver dans d’autres émissions saint-marinaises philatéliques ou numismatiques, d’époque ou postérieures au fascisme. Il faut voir ici une allusion à l’impérialisme romano-fasciste.

Le 28 avril 1933, six nouvelles valeurs paraissent , dans des couleurs différentes et surchargées (chalcographie et typographie, Brandbury, New Malden - Royaume Uni), pour célébrer la Croisière du dirigeable Zeppelin (24). Deux autres valeurs paraissent le 12 janvier 1942, dans les couleurs d’origine et surchargées d’une nouvelle valeur, (typographie, Della Balda, Saint-Marin) (25).



    Fig.23, Emission poste aérienne du 11 juin 1931.                      
    Fig.25: les deux valeurs surchargées émises le 12 janvier 1942. 
                  
Fig.24: L’une des 6 valeurs émises le 28 avril 1933
avec la surcharge zeppelin sur les timbres de 1931. 
Fig 26: Cantone di San Leo, rond-point reproduit 
dans ll Popolo Sammarinese du 31 août 1935. 



    VIII – UN PREMIER BLOC-FEUILLET INNATENDU

    Poursuivant sur le thème de la romanité, le 13 juin 1937 se déroule ce que nous appellons la grande messe romaine du Cantone di San Leo. Celui-ci est le rond-point de la nouvelle ville fasciste qui relie par deux voies différentes la gare du chemin de fer, par l’allée inférieure, à la ville historique au nord et par l’allée supérieure (26). Pour cette occasion, le Secrétaire national du Parti National Fasciste (PNF) d’Italie, Achille Starace, est venu comme représentant officiel de Mussolini. L’objet des festivités est l’inauguration de la colonne qui, prise dans l’antique Forum romain, est offerte à Saint-Marin par la municipalité de Rome. Mais curieusement, le régime n’a pas prévu de procéder à l’émission postale à laquelle on aurait pu s’attendre. En revanche, est inauguré conjointement un triptyque (27) qui, adossé au mur de soutien du bosquet côté mont et Troisième tour dite Montale, est dessiné par l’artiste italien Enrico Saroldi (1878-1954) et sculpté par le saint-marinais Romeo Balsimelli (1882-1954). 

    Or, c’est précisément ce triptyque qui illustrera l’émission du 23 août 1938, non sous la forme d’un simple timbre mais cette fois-ci d’un bloc-feuillet (28), cela conformément aux trois articles du décret de l’émission n° 8 du 21 août 1937, qui édicte :

« Art. 1er.  – Le 23 août est mis en circulation un timbre-poste commémoratif de 5 lires reproduisant le triptyque inauguré récemment dans la Ville de Saint-Marin, représentant, selon la légende, les deux grands saints Marin et Leo qui s’échangent d’un mont à l’autre les outils du métier, avec l’inscription, en haut : Postes – Rép. de Saint-Marin ; et en bas : 5 Lires 5 ; couleur : bleu clair.

« Art. 2.  – Ce timbre-poste est émis à 60 000 exemplaires sous forme de bloc-feuillet comportant un seul exemplaire, dentelé, avec les inscriptions en lilas suivantes : en haut les armoiries officielles et l’inscription République de Saint-Marin ; en bas, l’inscription : Année 1937-1636 d.F.R. ; et sur les côtés : le faisceau républicain.

Fig.27: Photo prise en 2013 montrant le
triptyque etle rond-point côté Mont (est)
avec la colonne romaine et la sculpture. 
« Art. 3.  – Pour l’affranchissement, il est admis que ce timbre-poste soit détaché du feuillet, ou qu’il soit utilisé intact dans le feuillet lui-même ».



Fig.28: Bloc-feuillet montrant le triptyque émis le 23 août 1937
    Par sa forme et ses dimensions, ce bloc-feuillet (125 x 105 mm) est en soi propre à attirer l’attention des Saint-Marinais et, à plus large échelle, celle des philatélistes étrangers. Conçu dans le but évident de pousser à son acquisition, il est joliment dessiné et gravé avec soin par M. Ferre. Délicatement coloré, il est imprimé à Londres par Bradbury Wilkinson. Et surtout, c’est la première production postale de ce genre émise dans la Péninsule, battant en cela même l’Office postal d’Italie, très prolifique émetteur pour le Royaume et ses colonies. Puisant sa source dans le récit des origines mythiques saint-marinaises, – l’indication « d.F.R. » précisée dans le décret de l’émission, signifiant “depuis la Fondation de la République” –, artistique et sobre, le régime a su faire de ce bloc-feuillet une vitrine de son régime en poussant son invention jusqu’à encadrer le récit légendaire avec ses deux faisceaux.
Sans faisceaux du licteur ni même la moindre allusion politique ou idéologique, avec la seule présence d’une plume d’autruche symbolique sur chacune des trois Tours historiques de la Ville (ressemblant à un point d’interrogation), un timbre émis le 11 août 1923 avait déjà montré Marin en train de sculpter une colonne du temple (29). L’inscription en latin du cartouche supérieur de ce timbre de 1923 affichait le slogan : « Labore et virtute » (par le travail et la vertu). Conçu indépendamment de l’arrivée au pouvoir du fascisme, le timbre avait été émis pour commémorer la fondation en 1876 (coin inférieur gauche) de la Società Unione e Mutuo Soccorso (S. U. M. S : Société Union et Secours Mutuel). Son président de 1890 à 1917 Pietro Franciosi a même été l’un des opposants au régime fasciste et plusieurs fois malmené pour cela au sens propre comme figuré. Quant au dénommé Léo, compagnon de Marin, lui aussi restera dans l’histoire comme fondateur d’une ville, San Leo, sise sur un mont voisin, mais en territoire italien.

Fig.29: Emission du 11 août
1923 au profit de la S.U.M.S.,
représentant Saint Marin en
traine de sculpter. 
    Deux autres émissions de 1923 sont comparables à celle-ci en raison de leur présentation sans allusion politique, ni faisceau du licteur. Il s’agit des timbres émis au profit de la Croix Rouge les 19 et 20 septembre (30), et de celui en hommage aux Volontaires saint-marinais morts ou mutilés de la Grande Guerre (31). De plus, des anciennes figurines de poste d’usage courant sont surchargées (typographie Della Balda, Saint Marin) pour certaines ou émises avec de nouvelles couleurs pour d’autres (32) en 1925, 1926 et 1927.      
                    Fig.30: Emission de 8 timbres, avec trois visuels, au profit 
                    de la Croix Rouge italienne les 19 et 20 septembre 1923. 


Fig.31: Timbre du 29 septembre 1923 en l’honneur des Volontaires saint-marinais de la Grande Guerre. 

      Fig.32: Réémission de timbres d’usage courant, vue du Mont Titan 
      à gauche le 8 avril 1925, au centre le 1er juillet 1926, à droite le 15 septembre 1927. 


    IX - DEUX BLOCS - FEULLETS EN L’HONNEUR D’ABRAHAM LINCOLN

    Le succès obtenu par le bloc-feuillet émis en 1937 pour la célébration du triptyque du Cantone de San Leo fait bientôt des émules. Au départ, il y a l’inauguration « simple et austère » du buste en bronze du président américain Abraham Lincoln dans le Palais du Gouvernement, le 3 septembre 1937 (33) où il est toujours exposé de nos jours. Œuvre du sculpteur Raymond Granville Barger (1906-2001), le buste était un don du professeur américain Kenneth Scott Latourette (1884-1968). Quelques mois après cette cérémonie, deux bloc-feuillets voient le jour le 7 avril 1938 (dimensions 125 x 105 mm), comportant chacun un timbre de valeurs et couleurs différentes, avec une illustration identique (34).

                              Fig.34 Les deux blocs-feuillets Lincoln du 7 avril 1938. 

Fig.33: Buste de Lincoln (source Il Popolo Sanmarinese du 3 septembre 1937). 


    Quant à ses caractéristiques techniques, elles sont les mêmes que celles du bloc-feuillet du triptyque du Cantone di San Leo. Le buste reproduit est naturellement celui inauguré le 3 septembre 1937. En bas apparaît l’inscription bilingue (italienne et américaine) qui dit : « Bien que Votre pays soit petit, votre État n’est pas moins l’un des plus honorés dans toute l’histoire » (35).

    Une lettre recommandée de 1938 semble prouver que des blocs-feuillets ont voyagé, sans passer par l’habituel canal des plis de complaisance (36), qui, dûment affranchis et oblitérés, restaient entre les mains de l’expéditeur, le plus souvent un marchand de philatélie.
                         Fig.35: Détail du texte inscrit sous le buste de Lincoln. 
                         Fig.36: Ci-dessus lettre recommandée de 1938 pour Turin. 

La vente des blocs-feuillets Lincoln, moins bonne que celle du bloc-feuillet de 1937, est suspendue en octobre 1942, suite à l’entrée en guerre des États-Unis (8 décembre contre le Japon et 11 décembre contre l’Allemagne et l’Italie). Lors de la séance du Congrès d’État du 21 septembre 1942, la Régence saint-marinaise propose le rachat considérable de 20 000 blocs-feuillets dans le but de les détruire, tandis que d’autres émissions très marquées sur le plan idéologique continuent d’avoir cours.

    X - AVANT LA CHUTE DU REGIME

    Au moment de l’émission Lincoln en 1938, le régime saint-marinais croit fermement que la guerre sera gagnée par les forces de l’Axe. Et il y croit encore le 16 mars 1942 jour de l’émission dite de la restitution du drapeau italien à l’île d’Arbe (aujourd’hui, Rab en Croatie). Les quinze valeurs qui la composent, – dix d’usage courant et cinq de poste aérienne, avec uniquement trois visuels –, sont les seules de la République de Saint-Marin se référant expressément à la Seconde Guerre mondiale. Mieux, elles racontent son adhésion symbolique et son implication sentimentale dans le conflit au côté de l’Italie. Le 12 novembre 1920, l’article 3 du traité de Rapallo avait attribué l’île dalmate d’Arbe, pays des tailleurs de pierre Marin et Leo au Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes (future Yougoslavie). Selon le journal Il Popolo Sammarinese du 21 avril 1941, la chose avait été fort mal vécue dans la République de Saint-Marin : « Son sacrifice causa beaucoup d’amertume également à notre peuple, dont par ailleurs l’ardent espoir de la rédemption de l’île si chère à son cœur ne s’éteignit jamais, même quand il pouvait paraître lointain ». Le 6 août 1923, le drapeau italien de l’île avait été confié à Saint-Marin. Cette remise du drapeau d’Arbe à Saint-Marin, avait été célébrée ce même jour avec l’émission d’une unique figurine, où l’inscription du cartouche inférieure disait : « Remise du drapeau de la commune italique d’Arbe à la République de Saint-Marin-Août 1923 ». Son illustration montre, à gauche, une vue de la ville d’Arbe, chef-lieu de l’île homonyme et à droite, le Mont Titan surmonté de ses trois tours (elles-mêmes surmontées de la symbolique plume d’autruche), vu du nord (au premier plan) au sud (au fond, à droite). Au centre, un plan d’eau symbolisant la Mer Méditerranée (Adriatique) et le drapeau du Royaume d’Italie (avec le blason couronné de la Maison de Savoie), surmonté des inscriptions latines sur le ruban : « SPES » (espoir) et « FIDES » (foi) . Dans les coins supérieurs gauche et droit : les noms « ARBE » et « S. MARIN » correspondant aux images de chacune des deux villes (37).
                               Fig.37: Emission du 6 août 1923,
                                commémorative de la remise
                               du drapeau d’Arbe à Saint-Marin. 


    Le 17 août 1941, Saint-Marin restitue ce même drapeau. Cet événement est commémoré par une émission de 1942 où les drapeaux italien et saint-marinais flottent sur les ruines de la tour Gajarda d’Arbe (sur les six premières valeurs d’usage courant) (38).

                               
Fig.38,39 et 40: les trois timbres de l’émission du 16 mars 1942 pour la restitution du drapeau italien à Arbe. 


    L’illustration montre également une galère battant drapeau italien et ramenant le drapeau, entrant dans le port d’Arbe (sur les quatre valeurs restantes d’usage courant) (39), et le campanile de la cathédrale Granda d’Arbe (sur les cinq valeurs de poste aérienne.) (40).
    Au cours de la même année 1942, deux timbres d’usage courant sont surchargés (typographie, Della Balda, Saint-Marin) :
– Le 30 juillet 1942 pour célébrer la première participation officielle de Saint-Marin à la Journée philatélique Rimini – Saint-Marin. Il porte la surcharge « 3 août 1942 (1641 d.F.R.) », autrement dite “5e Journée d’été du timbre” (41). C’est la première fois que la datation d.F.R. apparaît après la parution du décret du 2 juillet 1941 qui la rend obligatoire sur tout acte officiel. La surcharge de la valeur faciale permet de pallier à l’absence de cette valeur qui avait été oubliée à l’occasion de l’émission de la série le 16 mars 1942 (30c sur 10c).
– Le 14 septembre 1942, pour en corriger la valeur faciale (30c sur 20c), pour les mêmes raisons que celles de la valeur surchargée le 30 juillet 1942 (42).

Passée l’euphorie de 1942 avec la restitution du drapeau italien à l’île d’Arbe, le régime fasciste saint-marinais n’est pas loin du moment où il va s’effondrer, quatre mois plus tard. Mais il ne le sait pas. Et ne s’en doutant pas, ou refusant peut-être de le lire entre les lignes de l’histoire en cours, le voilà qui se lance dans une campagne de « Propagande par la Presse » selon l’intitulé de l’émission du 12 avril 1943. La décision a été prise par le Congrès d’État lors de sa séance du 21 septembre 1942, avant que le Conseil Prince et Souverain n’en fixe les données techniques le 19 novembre suivant. Composée de dix valeurs, toutes d’usage courant, avec seulement deux images différentes, c’est l’émission la plus proprement fasciste du Ventennio, symbolisée par l’illustration du premier visuel, qui reproduit l’en-tête de Il Popolo Sammarinese (43), « Organe du Parti Fasciste Saint-marinais », dit son sous-titre reproduit sur le timbre.
Porte-parole du régime, le journal est né dans l’intention déclarée « d’apporter la bonne nouvelle aux ignorants, toucher le cœur de ses fidèles, inviter les hésitants et les incrédules, admonester les réfractaires, les récalcitrants, les hommes de mauvaise foi, être la voix de la justice et de la vérité ».


Fondé par Giuliano Gozi, il est imprimé chez Arti Grafiche Sammarinesi de Filippo Della Balda, le même établissement à qui le Gouvernement demande parfois de surcharger certaines émissions postales. Le visuel des six premières valeurs de la série, constituant le premier groupe, est directement lié au pouvoir en place. Sa composition est riche en symboles : une presse en action, un faisceau du licteur, deux branches de lauriers, symbole de victoire et de stabilité du régime à n’en pas douter. Les quatre figurines constituant le second groupe montrent trois autres titres de publications officielles qui permettent à l’émetteur postal de présenter son régime comme s’inscrivant dans la continuité de la longue histoire de la République : le Bollettino Ufficiale (Bulletin Officiel de la RSM), la Giurisprudenza Sammarinese (Jurisprudence saint-marinaise), et Libertas Perpetua (Museum) (44). La jonction entre le présent et le passé est ici opérée par la présence des deux faisceaux du licteur sur les côtés (celui de droite visible partiellement dans le coin supérieur) et, dans la partie inférieure du timbre, par le troisième sceau le plus ancien de l’État. Celui-ci donne à voir les trois tours historiques érigées sur le Mont Titan (de gauche à droite : Première tour ou Rocca, Deuxième tour ou Guaita, et Troisième tour ou Montale, surmontées d’une plume d’autruche. La ville est couchée sur le versant ouest du Mont à leur pied, avec l’inscription sur le pourtour (de droite à gauche, en descendant) « LIBERTAS•PERPETUA•TERRE•SANTI•MARINI ». L’original (de la fin du XVe siècle) est conservé dans le Musée d’État de Saint-Marin (45). Les deux branches de laurier complètent cette seconde panoplie symbolique.

Cette émission « Propagande par la Presse » sera supprimée le jour de la chute du régime le 28 juillet 1943, sa forte portée idéologique n’échappant pas aux nouveaux gouvernants, qui laisseront néanmoins en circulation des émissions précédentes ! Moins d’un mois plus tard, un décret du 31 août actera officiellement de son retrait. De tous les timbres-poste mis en circulation à partir de 1927 sur lesquels le faisceau du licteur parait, il sera le seul à être retiré. Le seul certes, si l’on oublie le retrait, particulièrement diplomatique, des deux blocs-feuillets de 1938 du président américain Abraham Lincoln.

Avant de tomber, le régime a encore le temps d’émettre une dernière série commémorative. Établie par décret du 30 juin 1943, et mise en circulation le 1er juillet 1943, elle se compose de deux valeurs (30c et 50 c) issues de l’émission de la Propagande par la Presse du 12 avril 1943. Pour leur réutilisation, elles sont surchargées (rotogravure, IPS Rome) en rouge « Journée philatélique Rimini – Saint-Marin 5 juillet 1943 (1642 d.F.R.) » (46). Cela pour une manifestation qui doit se tenir du 1er au 6 juillet, organisée par le Cercle Philatélique de Rimini en collaboration avec Il Resto del Carlino et l’Office de Tourisme de la ville adriatique (47). Elle est donc la deuxième du genre, après celle du 30 juillet 1942 sur une figurine de la célébration arbésienne du 16 mars 1942, évoquée plus haut.

Présentée par l’Administration saint-marinaise comme « la seconde journée philatélique Rimini–Saint-Marin », titre dudit décret de l’émission, celle-ci est décrite comme la « 6e Journée d’été du timbre, Rimini 6 juillet 1943 » dans le catalogue spécialisé Cif/Unificato, Repubblica di San Marino. C’est la quatrième fois que la datation fasciste est inscrite sur une émission postale de la RSM, après celles du Cantone di San Leo en 1937, de l’inauguration du buste du président américain Abraham Lincoln en 1938, et de la Journée Philatélique Rimini–Saint-Marin en 1942. La raison de la réutilisation de timbres existant est le succès connu par la série Propagande de la Presse, sa disponibilité et son fort accent politique, à un moment où le régime doit montrer qu’il tient bien les rênes du pays.


XI - UNE SERIE NON-EMISE

Jusque-là, tout avait donné l’impression de filer si bien… ! Et pourtant, l’émission qui devait être la série phare du régime, bien que prête, ne sera pas mise en circulation, restant ainsi parmi les classiques de non émis qui font les délices et les tourments des philatélistes quand elles sont quasiment introuvables ou que leur prix est élevé. Dessinée par Roberto Franzoni et imprimée à Rome elle devait célébrer le « Ventennal des faisceaux 1922-1942 », comme l’indiquait la légende inscrite sur les figurines. C’est une longue série de vingt et une valeurs, treize d’usage courant et huit de poste aérienne. Omniprésente, était l’image du faisceau du licteur, qui est reproduit par deux sur les figurines d’usage courant et un seul sur celles de poste aérienne. Elle sera en fin de compte l’annonciatrice implicite de la chute du régime qui l’a conçue, ratant par la même occasion son vingtième anniversaire philatélique après avoir raté celui du dixième ! Si les valeurs prévues étaient nombreuses, leurs illustrations n’étaient qu’au nombre de trois : * Les premières sept valeurs d’usage courant (5 c. brun ; 10 c. orange brun ; 20 c. outremer ; 25 c. vert ; 30 c. lilas brun ; 50 c. violet ; 75 c. carmin) montrent la Porte historique de Saint-François, déjà évoquée dans le Lien d’avril à propos de l’émission du 30 juillet 1932 pour l’anniversaire de la mort de Garibaldi. (48). * Les six autres valeurs d’usage courant (1,25 L. bleu ; 1,75 L. orange ; 2,75, chocolat ; 5 L. vert ; 10 L. violet ; 20 L. bleu ardoise) montrent deux images également évoquées à propos de l’émission du 23 août 1938 : la colonne romaine au centre du rond-point dit Cantone di San Leo, au premier plan ; et le triptyque d’Enrico Saroldi sculpté par Romeo Balsimelli (49), au second plan. Depuis la grande messe romaine de juin 1937, l’une comme l’autre, font désormais partie de l’imagerie de la République. La colonne est notamment utilisée pour servir comme image principale à la publicité des Arti Grafiche Sammarinesi de Filippo Della Balda, l’établissement à qui le Gouvernement s’adresse à plusieurs reprises pour surcharger certaines émissions postales. Parue dans Il Popolo Sammarinese du 31 décembre 1937 (50) pour souhaiter « les meilleurs vœux de bonne année » de la maison à ses clients, cette première image réapparaîtra en 1938 dans les numéros du 23 janvier, du 13 février, du 27 février-13 mars, du 31 mars-1er avril, et du 17 avril.

* Les huit figurines de poste aérienne (25 c. jaune bistre ; 50 c. rose carmin ; 75 c. brun sépia ; 1 L. violet ; 2 L. indigo ; 5 L. orange brun ; 10 L. vert émeraude ; 20 L. noir) montrent la Carte du pays (51). C’est une première pour Saint-Marin, car jamais auparavant l’image des confins du pays n’était apparue sur une émission philatélique. À ce moment précis de son histoire, elle est l’expression d’une réelle inquiétude des gouvernants du pays, qui, dans le contexte de la guerre mondiale en cours, lancent un message codé à l’adresse du monde où les frontières de certains pays sont déjà bouleversées. Cela pour signifier que les confins de la République de Saint-Marin, ainsi fixés depuis des siècles, sont considérés comme sacrés par les Saint-Marinais. Ce sont ceux qui ont été conservés « sagement » depuis la bulle papale du 27 juin 1463 qui avait confirmé les clauses du Traité du 21 septembre 1462 signé dans le château de Fossombrone, au sud-est d’Urbino. Par la suite, lorsque Napoléon leur avait proposé à titre gracieux le 8 février 1797, d’agrandir leur territoire, les Saint-Marinais avaient « sagement » refusé.
C’est donc une première, significative sur le plan politique et diplomatique. Il en sera de même soixante-dix ans plus tard, à travers le message subliminal qui se dégage du bloc-feuillet de l’émission conjointe RSM-Italie, du 7 juin 2013 (195 x 143 mm). L’image des confins du pays, accompagnée d’un document d’époque, a été reprise pour illustrer le bloc-feuillet de chacun des deux pays (52).
Une circulaire de l’Office philatélique saint-marinais du 3 mai 1943 lance les réservations, qui parviennent nombreuses au Bureau philatélique où se trouve un premier lot de planches imprimées. C’est alors que survient la chute de Mussolini le 25 juillet 1943. La décision est prise de ne pas procéder à la distribution des timbres et le stock déjà transmis par l’imprimeur romain à l’Office postal de Saint-Marin reste longtemps dans les cartons de l’administration avant d’être cédé plus tard aux collectionneurs.
         
Fig.41: Surcharge du 30     Fig.42: Surcharge
juillet 1942 pour la journée    du 14 septembre
philatélique de Rimini.        1942, 30c sur 20c.


       
Fig.43: Premier timbre de la série du 12 avril 1943 consacrée à la propagande par la presse. 

       
Fig.44: Emission du 12 avril 1943 Second visuel de la série pour la propagande par la presse.
Il présente les trois organes officiels de presse de la RSM. 




Fig.45: Troisième plus ancien sceau de la RSM daté de la fin du XVème siècle, reproduit sur le timbre du 12 avril 1943. 

       

Fig.46 Timbres du 1er juillet 1943 surchargé pour la Journée philatélique de Rimini. 


Fig.47: Carte postale officielle de la Journée philatélique de Rimini en juillet 1943. 


Fig.48: Non-émis     Fig.49: non-émis illustré
illustré de la Porte    de la colonne romaine
de Saint François.       du Cantone di San Leo. 

       
Fig.50: La colonne romaine dans une publicité d’El Popolo Sanmarinese du 31 décembre 1937. 


      
Fig.51: Non-émis de poste aérienne illustré de la carte du pays. 


 


 
Fig.52: les deux blocs de l’émission conjointe Italie-Saint Marin du 7 juin 2013. 

Les étapes de la série non émise :
– La première proposition officielle de l’émission est prise moins d’un mois avant la date du XXe anniversaire du PFS, lors de la séance du Congrès d’État du 16 juillet 1942 : « En souvenir du Ventennale, il serait opportun d’émettre une série de timbres-poste commémoratifs ; par conséquent, le Secrétariat d’État est chargé d’obtempérer et d’y pourvoir ».
– Lors de la séance du Congrès d’État du 21 septembre 1942, sont précisées les caractéristiques de l’émission : « Poste ordinaire, deux dessins, treize valeurs pour un total de 42,90 lires, tirage limité ; poste aérienne, un dessin, huit valeurs pour un total de 39,50 lires, tirage limité ».
– L’Office philatélique saint-marinais lance les réservations d’usage par une circulaire du 3 mai 1943 : « Nous informons que le 3 mai dernier a été publié le préavis concernant les réservations, valables jusqu’au 5 juin prochain compris, des séries de timbres-poste commémoratifs du Ventennal des Faisceaux Saint-marinais. Le Conseil en prend acte ».
– Lors de sa séance du 27 mai 1943, le Conseil Prince et Souverain autorise la Régence à procéder à l’établissement du long décret d’émission qui se termine ainsi : « Le Conseil en prend acte en autorisant la Régence à mettre en circulation dès que possible le décret définitif de l’émission » et dont nous donnons le texte complet dans notre « Histoire du fascisme de la République de Saint-Marin ».

Ce « dès que possible » restera le vœu pieux d’un Conseil Prince et Souverain qui à cette date est tout proche de perdre sa dénomination princière imposée en 1931. Il redevient Conseil Grand et Général après la chute du régime le 28 juillet 1943.


L’annonce radiodiffusée de la nouvelle de l’arrestation de Mussolini le 25 juillet, le soir même, à 23 h 00, a surpris les hiérarques qui sont en train de jouer au poker dans une petite salle de l’Hôtel Titano, le lieu chic de Saint-Marin :

« Dans le groupe, il y avait le Secrétaire du Parti Fasciste Saint-marinais Manlio Gozi [frère de Giuliano Gozi], le Secrétaire d’État Giuliano Gozi et d’autres membres du gouvernement. À l’annonce de la nouvelle, Manlio Gozi fut pris d’émotion, tandis que Giuliano resta très tranquille. […] La soirée se termina sur ce commentaire humoristique de Giuliano Gozi : “Eh bien, cela signifie qu’au Palais [du Gouvernement], nous remplacerons le portrait du Duce par celui du Maréchal Badoglio ! » (Extrait du témoignage reproduit dans notre Histoire du fascisme de la République de Saint-Marin, p. 660).

Une page d’histoire vient d’être tournée en Italie. Trois jours plus tard le Ventennio fasciste saint-marinais tourne aussi la sienne et les messagers philatéliques en sont les timbres restés non émis du « Ventennal des faisceaux 1922-1942 » : pour annoncer dans un premier temps la chute du régime ventennal et dans un deuxième temps son remplacement par le pouvoir démocratique. Mais là s’arrête notre récit, au moment où cette nouvelle histoire commence, sur laquelle nous reviendrons dans notre prochain numéro.

Le Parti Fasciste Saint-marinais est dissout le 27 juillet 1943, dans une Saint-Marin qui « resta calme et silencieuse, presque absente », avant de « passer à l’action le soir même », quand un groupe de démocrates, composé de socialistes, communistes et autres antifascistes, se réunit dans la ville de Borgo Maggiore, au pied du Mont Titan qui apparait sur les deux timbres exprès du 29 août 1929 et sur les dix timbres de poste aérienne du 11 juin 1931. Cette vue apparait aujourd’hui sur la photo moderne diffusée par le portail officiel de la RSM (www.sanmarino.sm) où la Première tour de la ville de Sain-Marin est au premier plan, la ville de Borgo Maggiore est à gauche au pied du Mont (53). Le lendemain 28 juillet 1943, une foule antifasciste se dirige en cortège, remontant la route visible au premier plan au pied du Mont à droite sur la photo, vers le Palais du Gouvernement à Saint-Marin-ville, décidée à faire tomber le pouvoir. Contrairement à ce qui se passe en Italie, cela se fait sans violences physiques ni désordres dommageables.

Pour conclure tout à fait, nous ne savons pas dans quelles conditions a éventuellement voyagé de la RSM à Milan la carte postale que nous reproduisons (54). Aucune marque fasciste ne paraît. Elle est intéressante sur le plan symbolique. Treize jours après le fatidique 28 juillet, les cachets datés « 9 août 1943 » oblitèrent quatre timbres de trois émissions différentes éloignées dans le temps: la figurine avec « chiffre floréal » de 2 c. émise le 31 octobre 1921, avant l’avènement du fascisme ; les deux figurines émises le 29 juillet 1926 de la série Antonio Onofri (45 c. et 65 c.), Père de la Patrie qui a œuvré pour la liberté de la République en 1739-1740 et qui ne doit rien au fascisme, même si le fascisme avait exploité la dimension du personnage.
 



Fig.53: Vues de Saint Marin. 


 
Fig.54: Carte postale du 9 août 1943 avec timbres émis en 1921 et 1926. 



La dernière figurine de la série surchargée avec nouvelle valeur faciale ainsi que de treize points noirs sur le côté inférieur droit du cadre du même Antonio Onofri (1,25 sur 1 L.) émise le 10 octobre 1927. L’expéditeur qui écrit au journal La Gazzetta dello Sport, fait donc un effort évident de composition philatélique. Exit le faisceau du licteur comme emblème du pays, et alors que les émissions du nouveau pouvoir tardent à venir, il faut montrer ce dont la République de Saint-Marin dispose de plus propre.

Remerciements: nous remercions Sophie Bastide Bernardin Rédactrice en chef de L’Echo de la Timbrologie pour la publication de cet article dans les numéros 1958 et 1959 de L’Echo, publication à laquelle nous empruntons avec son accord, certaines adaptations.
Nous remercions de même Pierre Jullien pour l’accueil réservé aux articles de presse et au livre d’Antoine Sidoti sur son blog « Le Monde - Philatélie au quotidien ».





Retour de la Libertas de marque démocratique à Saint-Marin après la Libertas de marque fasciste, 1943-1945.



La suite logique des événements italiens qui ont vu la chute de Mussolini et du régime fasciste, le 25 juillet 1943, est la dissolution du Parti Fasciste Saint-Marinais le 27 juillet 1943. La preuve est ainsi faite que la prétendue indépendance de la Libertas du régime fasciste de la République du Titan dépendait du bon vouloir de son puissant voisin. Cela se passe dans une Saint-Marin qui « resta calme et silencieuse, presque absente », avant de « passer à l’action le soir même », quand un groupe de démocrates, composé de socialistes, communistes et autres antifascistes, se réunit dans la ville de Borgo Maggiore, sise au pied du Mont Titan.

1.    Émissions surchargées pour marquer la chute du fascisme et l’avènement du pouvoir démocratique.

Le lendemain 28 juillet 1943, les mêmes se dirigent en cortège, avec une foule de citoyens, vers le Palais du Gouvernement à Saint-Marin-ville, décidés à faire tomber le régime. Après un semblant de résistance, la chute intervient sans violence ; ce qui fera écrire dans ses Mémoires au premier d’entre les membres du groupe des démocrates, Francesco Balsimelli :

« Oui, oui : tout va bien ; mais restez tranquilles, Messieurs les Fascistes et remerciez le pli pris par les événements, qui, par l’intervention de citoyens honnêtes et modérés, se sont déroulés de telle sorte qu’il n’a été touché un cheveu à personne ».

Cette date sera désormais officiellement célébrée tous les ans à Saint Marin. Dans notre Histoire du fascisme de la République de Saint-Marin, nous avons raconté que « Messieurs les Fascistes » ne se tiennent pas vraiment tranquilles, au point d’obliger le premier gouvernement démocratique qui vient de les chasser à en inclure cinq comme membres à part entière, dont le premier d’entre eux, Giuliano Gozi. En 1944, à un moment particulièrement délicat pour la survie de la République, Francesco Balsimelli est l’un des deux Capitaines Régents du semestre compris entre le 1er avril et le 1er octobre. Il est obligé de travailler au côté de l’ancien duce.


                                                                                             Les deux types de surcharge de la
                                                                                             1ère série émise le 27 août 1943. 


Ce même 28 juillet 1943 commence le démantèlement institutionnel du feu régime. L’un des premiers actes est philatélique: Il consiste à surcharger les 21 valeurs de la série non émise du « Ventennal des faisceaux 1922-1942 » (voir L’Écho de mars 2021, n° 1959 ; et Le Lien Philatélique de septembre 2021 n°132), réalisée par les ateliers de Rome: d’une part la légende anniversaire fasciste est salie par des traits rectilignes ; d’autre part, une surcharge est ajoutée comportant la date de l’événement : « 28 JUILLET 1942 – 1642 d.F.R. ». Première série surchargée, elle est mise en circulation le 27 août 1943, conformément au décret n° 33, établi suite à la décision du Conseil d’État le 10 août.

Le résultat est néanmoins surprenant. En effet la datation d.F.R., mise pour “de la fondation de la République” est maintenue. Son principe avait été adopté le 7 janvier 1928 avant d’être institutionnalisée par décret le 2 juillet 1941 par le régime fasciste; de plus, les faisceaux qui décorent abondamment les figurines sont également présents.

         La seconde série surchargée est mise en circulation le 30 août 1943, conformément au décret n° 34 établi suite à la décision du Conseil d’État du 10 août. La surcharge, – cette fois-ci, de seulement 17 valeurs de la série non émise (à savoir : 11 d’usage courant avec en moins les valeurs de 2,75 et 10 lires ; et 6 de poste aérienne avec en moins les valeurs de 2 et 10 lires) –, est à nouveau réalisée par les ateliers de Rome. A travers elle, le nouveau pouvoir entend maintenant signifier sa propre mise en place, en inscrivant : « GOUVERNEMENT PROVISOIRE » par-dessus la légende « Ventennal des faisceaux 1922-1942 ». Et cependant, le résultat final sera le même que celui constaté dans la série mise en circulation trois jours auparavant : la datation d.F.R. est toujours là, de même que les faisceaux de licteur qui restent à nouveau immaculés.

    Pourquoi donc avoir laissé intacts les nombreux et imposants faisceaux de licteur fascistes ? Pourquoi ne pas les avoir salis selon la pratique habituelle ? Difficile de croire à une simple maladresse. Expression, peut-être, d’un malaise habillé en choix diplomatique réfléchi ? Cela en a tout l’air. Quoi qu’il en soit, voilà un bien curieux mélange des genres dans ce message politique pour le moins brouillé. Et cependant, force est aussi de constater que les précautions étaient de mise à un moment particulièrement compliqué pour la petite République, qui se devait de ne pas trop indisposer le fascisme environnant (de l’étranger et de l’intérieur) ni l’incommode présence allemande, sans oublier l’avancée des Alliés qui se profilait à l’horizon.



  L’unique type de surcharge de la 2ème série émise le 30 août 1943. 



                 Variétés de surcharges
                 sur la série émise
                 le 27 août 1943. 


Comme cela arrive souvent dans ce genre d’émissions, des ratages de surcharge sont survenus et les philatélistes en raffolent. Les exemplaires que nous reproduisons le prouvent.


Variétés de surcharges
sur la série émise
le 30 août 1943. 











1.    Des timbres pour lettres par exprès entre passé et avenir

    Après avoir été investie par la guerre malgré elle, la République est maintenant prise dans des difficultés de toute sorte. La grande préoccupation du nouveau gouvernement est la reconstruction matérielle et morale du pays. Malgré sa neutralité, la République n’a pas pu éviter le lourd bombardement de la DAF (Desert Air Force) britannique du 26 juin 1944, quand sont lâchées en différents points de son territoire 55 bombes à 11h03, 60 bombes à 11h17 et 110 bombes à 12h38 : 63 saint-marinais meurent, la majeure partie dans la capitale.

    A cela s’ajoute, du fait même de cette neutralité, l’afflux de milliers de réfugiés (entre 80 000 et 100 000, selon les estimations) issus des régions environnantes et de la République elle-même, qui s’éparpillent sur l’ensemble du territoire, tunnels ferroviaires compris, dont la ligne est désormais endommagée à jamais.

Au dos du Palais du Gouvernement (à droite) après le bombardement du 26 juin 1944. 
Emission du 14 novembre 2000 17 siècles de liberté : livret de prestige contenant 5 BF, sur le thème de la liberté, un bien suprême pour soi et pour les autres. 

Campement de réfugiés, à la frontière avec l'Italie dans la vallée du torrent Marano (dans les Castelli Montegiardino e Faetano) - Au fond, le Mont Titan. 

Ci-contre à droite: Timbre émis le 20 février 1975 pour le 30e anniversaire du Salut de réfugiés à Saint-Marin. 



Photo de droite: Réfugiés dans un tunnel, les deux femmes du premier plan sont des saint-marinaises qui, par peur des bombardements, ont préféré le tunnel à leur propre maison (Bundesarchiv Bildarchiv de Coblence). 

    Deux émissions de timbres pour lettres par exprès aux visuels nouveaux voient le jour, en 1943 et en 1945. Imprimées en rotogravure par l’IPS-OCV (Istituto Poligrafico dello Stato – Officina Carte Valori) de Rome, avec gomme jaune, sur papier avec le filigrane couronne typique des émissions italiennes, elles n’ont aucune connotation politique ou idéologique.

    Les deux valeurs qui composent la première série de ces timbres exprès paraissent séparément : le 16 septembre 1943 pour le 1,25 L. de couleur verte; le 27 septembre pour le 2,50 L. de couleur orange. L’illustration, – que certains attribuent à Roberto Franzoni, bien que le nom n’apparaisse pas sur le bord inférieur des figurines –, représente le blason de la République entourée de deux branches de lauriers au lieu des deux traditionnelles, une de chêne et une de laurier. Tous nouveaux qu’ils sont, ces timbres avaient cependant été commandés par le gouvernement fasciste : le 22 avril 1942, il avait sollicité le « Ministero delle Finanze-Provveditorato Generale dello Stato » italien, en lui demandant :

« […] de faire réaliser par Votre Bureau artistique un croquis pour lettres par exprès de poste d’usage courant de la République, qui est entièrement dépourvue de timbre pour lettres par exprès, sur le type actuellement en usage à la Poste Italienne avec les modifications suivantes : remplacer l’effigie du Roi par les armoiries de République, remplacer les mots “Poste Italiane” par : Poste Rep. S. Marino ».

          Les deux valeurs pour
          lettres par exprès
          de septembre 1943. 
          Ci-dessus les armoiries
          de Saint Marin. 

Les timbres exprès en usage en Italie auxquels il est fait allusion sont deux valeurs mises en circulation, le 2 septembre 1932 (1,25 L., vert), et le 16 mars 1933 (2,50 L., orange). (Ci-dessous)

Il était naturellement sous-entendu qu’il fallait aussi supprimer l’image des armoiries d’État du Royaume d’Italie, placée sur le côté droit de la figurine du Royaume : des armoiries dans lesquelles, du 11 avril 1929 au 26 octobre 1944, deux faisceaux de licteur fasciste sont accolés à la Croix historique de la Maison de Savoie. Sur la lettre recommandée reproduite ci-dessous, adressée à Merano (Bolzano), dans le Haut-Adige, la valeur orange de 2,50 L. accompagne la valeur orange de 1,75 c. de l’émission surchargée « 28 JUILLET 1942 – 1642 d.F.R. ». Datée « 30.9.1943 », elle matérialise le passage entre les deux premières périodes de l’après-Ventennio : celle des émissions surchargées et celle de la première émission du nouveau pouvoir.
Petites armoiries du Royaume d’Italie du 11/04/1929 au 26/10/1944. 



Lettre recommandée du 30.09.1943, avec
timbre surchargé du 28 juillet (1,75L.)
+ timbre exprès de 1943 (2,50L.)

Les deux valeurs exprès Saint-Marinaises de 1943 sont également connues avec des surcharges fantaisistes. Nous n’en connaissons pas l’origine. Rarement mentionnées dans les catalogues et introuvables chez les négociants, elles sont de temps en temps proposées sur internet.


Ci-contre, la
surcharge apposée
sur la valeur rouge
de 2,50L.: P.S.+L.60. 

    Nous connaissons aussi la surcharge effectuée sur la valeur verte (de 1,25 L.).

    Après cela, il faut attendre le 3 février 1945 pour voir paraître les deux valeurs de la seconde série de timbres pour lettres par exprès. Entre temps, l’inflation aidant, la valeur faciale double celle de 1943, passant de 1,25 L. à 2,50 L. pour la première (de couleur verte), et de 2,50 L. à 5 L. pour la seconde (de couleur orange). À la différence de l’émission de 1943, le nom du dessinateur figure maintenant sur le bord inférieur droit des figurines : « R.[Roberto] Franzoni ». L’illustration unique représente sobrement une vue aérienne sud-nord de la capitale du pays, dont on distingue le profil des trois tours historiques, au sommet du Mont Titan. L’image stéréotypée de ce paysage mise à part, ces timbres naissent dans un contexte franchement nouveau. Ils voient le jour à un moment où le pouvoir vient de décider de mettre de l’ordre en matière philatélique avec la création d’un Congresso Filatelico (Congrès Philatélique) et d’un Ufficio Filatelico (Bureau Philatélique), l’un et l’autre établis par un décret de loi du 8 janvier 1945, après que le Conseil Grand et Général en a approuvé les termes le 4 janvier. Pour mesurer l’importance du travail qui reste visiblement à faire à Saint-Marin, il faut se référer à l’article 2 :

« Le Congrès Philatélique est chargé de : a) proposer, étudier et préparer les émissions courantes et spéciales qui doivent être approuvées par le Conseil Grand et Général ; b) veiller à l’exécution des émissions susmentionnées et les superviser, en accordant une attention particulière à leur valeur artistique et philatélique ; c) superviser et contrôler le fonctionnement de l’Office Philatélique et ses liens avec la Comptabilité et le Trésor Public ; d) faire le nécessaire pour accroître le prestige du marché philatélique et pour le bon fonctionnement de l’Office ; e) s’occuper de la réorganisation, la garde et l’inventaire du musée philatélique et du patrimoine philatélique de l’État ».

3.    La reconstruction comme objectif

    Avec les deux émissions qui vont suivre, en 1944 et 1945, se conclut la première période philatélique de la Libertas démocratique retrouvée après la longue phase du Ventennio fasciste. Le mot d’ordre est la reconstruction matérielle et morale.

    Les deux émissions surchargées de 1943 sont certes des émissions commémoratives, mais sur des timbres fascistes non émis. Les deux timbres pour lettres par exprès de 1943 ne sont pas une émission commémorative. L’unique émission de l’année 1944 est mise en circulation le 25 avril.

               
Les deux valeurs exprès émises le 3 février 1945. 


C’est la première émission commémorative entièrement nouvelle depuis la chute du fascisme. Sa parution, établie par décret n° 14 du 22 avril, a été approuvée par le Conseil d’État le 18 décembre 1943. Imprimée en rotogravure à Rome, « elle serait aussi née pour éviter que des équipements et des matériaux de l’Istituto Poligrafico dello Stato italien [dont l’indication n’apparaît pas dans la marge inférieure blanche des figurines] fussent réquisitionnés par les Allemands et transférés à Vienne ». Pour le site officiel du service philatélique de la République de Saint-Marin, l’ « Impression [est faite] par : IPS [dans les ateliers de] Novare » (Piémont).

    Deux valeurs composent la série : une, d’usage courant. de 20 + 10 L., et une de poste aérienne également de 20 + 10 L. Elles sont toutes les deux illustrées par Roberto Franzoni, – dont le nom est inscrit à droite de la marge inférieure blanche des figurines –, d’après un tableau de Giovanni Lanfranco (1582-1647). La première montre le saint fondateur Marin, en train de tailler une pierre (symbole de travail) et le regard fixant le ciel (symbole d’espérance). La seconde montre la Deuxième tour (ou Cesta) de la ville de Saint-Marin (précision établie par le décret de l’émission) pointant sur le sommet du Mont Titan, symbole de stabilité, courage et sécurité.
Elle est une création du dessinateur d’après une des nombreuses images du genre. Il y ajoute un aigle survolant le paysage pour symboliser la poste aérienne.

Emission du
25 avril 1944


    Venant après les destructions causées notamment par le bombardement britannique de juin 1944, la signification de cette émission est claire: le produit de l’importante surcharge de la valeur faciale des figurines est dévolu à l’édification de logements à loyer modéré (HLM) par l’Istituto Case Popolari (Institut du Logement Populaire). Cette destination n’est pas précisée dans le décret. En revanche, le Secrétaire d’État aux Affaires Intérieures, Giuseppe Forcellini, s’est chargé de le dire dans une circulaire du mois de mars, où l’on peut lire ceci : « La République de Saint-Marin émettra deux nouveaux timbres d’ici le 30 avril 1944 […]. Les deux timbres seront en grand format et fabriqués avec soin et ne seront vendus que par paires. Les suppléments iront à l’Institut du Logement Populaire de Saint-Marin. [...] ».

    Par-delà l’évocation symbolique des illustrations, deux observations s’imposent. Premièrement, sur le timbre représentant le Saint fondateur Marin, l’inscription du cartouche inférieur est en latin: « HAEC SAXA TRACTASTI FABER / FORTI, MARINE, DEXTERA » (Tu as travaillé ces pierres comme un artisan, / Marin, avec ta main forte). Il s’agit de deux vers extraits de l’Hymne sacré dédié au Saint, composé en 1861 par l’écrivain italien Niccolò Tommaseo (1802-1874). La concordance de sens entre ces mots et le dessin est parfaite. Deuxièmement, on ne trouve pas d’inscription sur la figurine de poste aérienne.





        Emission du 12 décembre
       1974 centenaire de la mort
        de Nicolo Tommaseo. 
Pourtant, l’image (cime du mont et tour) est néanmoins l’exacte illustration des deux vers qui, dans le même Hymne sacré, suivent ceux de la figurine d’usage courant ; ils disent : « MONS IPSE SIGNUM TOLLITUR / TUO DICATUM NOMINI » (La montagne elle-même s’élève comme un signe / dédié à ton nom). Peu importe que ces deux vers ne soient pas inscrits sur la valeur de poste aérienne, le dessin en est l’illustration. La preuve en est donnée à postériori, lors de l’émission d’un timbre, le 12 décembre 1974, pour la célébration du centenaire de la mort de Niccolò Tommaseo : sur ce timbre apparaissent : premièrement, une image du mont au premier plan et l’image du sommet d’une tour au second plan ; deuxièmement, en bas de la figurine au premier plan, sont cités à la suite les quatre vers de l’Hymne sacré.





    Nous en venons maintenant à la seconde des émissions de la reconstruction.

    Conformément à la Décision du Conseil du 30 septembre 1944, et aux termes du décret n° 13 du 12 mars 1945, est mise en circulation l’émission postale commémorative du 50e anniversaire de l’inauguration du Palais du Gouvernement, le 30 septembre 1894 (voir L’Écho de mars 2021, n° 1959 et Le Lien Philatélique n°132 de septembre 2021). Dessinée par Roberto Franzoni (dont le nom est inscrit dans le coin inférieur droit de la marge blanche), imprimée en rotogravure à Rome, l’émission est composée de deux parties. La première comprend deux timbres issus de feuilles, avec valeur faciale identique de 25 L. : l’un d’usage courant qui montre le Palais du Gouvernement, l’autre de poste aérienne qui montre le détail supérieur de ce même Palais surmonté du drapeau de la République et, planant dans le ciel, un aigle.


         Emission du 15 mars 1945
         pour le 50ème anniversaire
         du Palais du Gouvernement. 
    La seconde partie comprend deux blocs-feuillets identiques, inhabituels par leurs dimensions (183 x 122 mm), l’un dentelé et l’autre non dentelé. Cela fait d’eux les plus grands blocs-feuillets émis à cette date dans la République, bien plus grands que les précédents de 1937 et 1938 (125 x 105 mm). Ils comportent pour l’essentiel : premièrement, un triptyque, composé de deux timbres latéraux illustrés avec l’image d’un même tableau allégorique de couleur différente et d’un timbre central qui montre le Palais du Gouvernement dans une vue proche de celle de la figurine d’usage courant issue de feuille ; deuxièmement, sous le triptyque, le long texte issu d’un discours intitulé La Libertà Perpetua di San Marino (La Liberté Perpétuelle de Saint-Marin), prononcé en 1894 par le futur prix Nobel de littérature (1906), Giosuè Carducci (1835-1907):



Les deux blocs-feuillets, dentelé et non dentelé, de l’émission du 15 mars 1945. 


« … Pendant que des peuples et des gouvernements d’Europe sont tourmentés par des pensées, des événements, des attentes. Pendant qu’un grondement sourd, souterrain, semble menacer les fondements mêmes de la civilisation. Ce Palais conçu, érigé, décoré d’après l’art de nos pères, nous, qui sommes chargés de quinze siècles de mémoire, nous le livrons et l’offrons pour ainsi dire à un avenir plein d’espérance… » (points de suspension du début et de la fin compris dans le texte).

L’image de Giosuè Carducci en train de lire son discours avait circulé bien avant le jour de l’inauguration du Palais du Gouvernement, dans un dessin de 1892 d’Ettore Ximenes (1855-1926) où l’artiste italien avait imaginé la scène. En atteste la revue hebdomadaire milanaise L’Illustrazione Italiana, qui le publie une première fois le 3 avril 1892 puis le 30 septembre 1894 (jour de l’inauguration), avant de le republier le 24 février 1907 à l’occasion de la mort du poète, intervenue deux jours auparavant. Pietro Tonnini, – le même dont on voit le visage, à la barbe blanche, dans le médaillon de la carte postale émise le jour de l’inauguration (voir L’Écho de mars 2021, n° 1959 ; et Le Lien Philatélique n°132 septembre 2021) –, avait sollicité Carducci le 1er octobre 1889, lors du banquet officiel des nouveaux capitaines régents, Domenico Fattori et Marino Nicolini.

En lisant ce texte du bloc-feuillet cinquante ans plus tard, force est de constater que cet avertissement douloureux ancien, nouvellement lancé aux peuples et gouvernants par philatélie interposée, a dû pour le moins paraître justifié à un moment où les ruines et les plaies du second conflit mondial finissant sont fumantes et béantes à Saint-Marin comme ailleurs.

Buste de Giosuè Carducci dans l’Atrium du Palais du Gouvernement, oeuvre en bronze, de l'artiste italien Tullo Golfarelli (1852-1928). 
Carducci lit son discours de l'inauguration du Palais du Gouvernement (30 sept. 1894). Dessin (1892) d'Ettore Ximenes (1855-1926) publié dans L'Illustrazione Italiana, Milan. 

    Pour illustrer l’héritage de l’idéal de liberté et d’indépendance légué par Marin, fondateur et saint Patron de la République, l’Administration postale reproduit, sous forme monochrome (l’une bleue, l’autre verte), la scène de l’Apparition de Saint-Marin à son peuple. Le tableau de grandes dimensions (9,30 x 4,22 mètres) portant ce titre avait été commandé à l’italien Emilio Retrosi (1858-1911) pour figurer sur tout le mur du fond de la salle du Conseil Prince et Souverain, comme on appelait à l’époque le Conseil Grand et Général, derrière le trône à deux sièges de la Régence du Palais du Gouvernement, où il se trouve encore de nos jours. Sur les pages du livre que saint Marin tient dans sa main gauche, figure une phrase latine que les Acta Sanctorum attribuent à Marin au moment de mourir : « Relinquo vos liberos ab utroque homine » (Je vous laisse libres de l’un comme de l’autre homme), en entendant par-là “non soumis au pouvoir temporel, ni au pouvoir religieux”, un message de liberté dont nous savons qu’il est inscrit sur les armoiries de la République : Libertas. Le propos du saint est de toute évidence une incitation faite aux Saint-marinais à toujours œuvrer dans l’intérêt et pour le bien de la République, avec le souci du rassemblement et de la cohésion sociale. La scène du tableau où le saint est entouré de son peuple est censée servir d’exemple. Les notables du pays, précédés par les Capitaines Régents sont à sa gauche, et une foule de citoyens ordinaires sont à sa droite. L’ange qui se trouve à la gauche du saint est, lui aussi, porteur d’une inscription latine dans le cartouche qu’il déploie entre ses mains et qui dit : « Sic maneat semper » (Qu’il en soit toujours ainsi).


En haut, la fresque d'Emilio Retrosi, et en dessous la Salle du Conseil, dans le Palais du Gouvernement, avec le double trône, pour chacun des Régents, et la fresque de Retrosi. 



4.    Propos final

    Le constat est fait qu’après le second conflit mondial il fallait tout reconstruire, sur le plan matériel comme moral. Dans la philatélie saint-marinaise cela a été formalisé dès l’émission du 25 avril 1944, dont la surcharge de la valeur faciale est dévolue à l’Istituto Case Popolari, l’œuvre des habitations à loyer modéré. La reconstruction de la démocratie sur les ruines du fascisme va de pair, elle est le fondement même sur lequel doit reposer le nouvel édifice. Bien des symboles et connotations fascistes ont tout naturellement disparu au fil des émissions postales. Mais que faisait-il encore dans ce bloc-feuillet l’héritage fasciste « d.F.R. », qui à deux reprises, dans le coin inférieur droit et gauche, persiste à indiquer la date anniversaire ?

À la Libertas de marque fasciste vient de succéder la Libertas de marque démocratique. Les rapports entre les États de Saint-Marin et d’Italie se poursuivront avec des hauts et des bas, parfois dans de fortes irritations.

    Nous en voyons l’illustration symbolique dans l’image du porc-épic sur le timbre émis le 5 juin 2014 pour la célébration conjointe du 75e anniversaire de la Convention d’amitié et de bon voisinage. Soixante-quinze ans plus tôt, la « fraternelle amitié protectrice » de façade, qui limitait de fait l’indépendance de la République de Saint-Marin, avait été scellée entre deux régimes fascistes. Ceux-ci disparus, la nouvelle relation entre deux régimes démocratiques est tout aussi amicale que tapissée de piquants, comme le suggèrent l’image du porc-épic et l’inscription latine LONGE ET PROPE (loin et près) qui lie la hampe des deux drapeaux. La notion d’« amitié protectrice » de la « puissance » italienne avait déjà disparu le 10 septembre 1971, dans la « Déclaration additionnelle à la Convention d’amitié et de bon voisinage du 31 mars 1939 ».

Emission conjointe Italie/Saint Marin du 5 juin 2014. 


D’après : Antoine Sidoti, l’Histoire du fascisme de la République de Saint-Marin. Moments et thèmes 1922-1946… et au-delà, Paris, aux éditions Non Lieu, 2020.