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Catégorie : Aérophilatélie


A LA RECHERCHE DU FULTON …

Rédigé par APN.


dimanche 17 mai 2015



Il y a plus d’une dizaine d’année, nous avons acquis en commun un lot de timbres et de lettres à Drouot avec un ami collectionneur. Au moment du partage, il m’a bien volontiers laissé le seul ballon monté présent dans ce lot qui m’intéressait.

J’avais, bien sûr, entendu parler de la guerre de 1870-71 ainsi que du siège de Paris ; mais je dois dire que je n’étais pas du tout familier de cette page d’histoire postale pour identifier le pli que j’avais maintenant en ma possession. Voici ce que fut ma démarche.




Certes, la mention imprimée « par ballon monté » m’indique avec certitude la nature de ce pli et l’affecte à la période de la guerre de 1870-71.


1 Petit rappel historique…

Le 19 juillet 1870 La guerre avec la Prusse est déclarée.

Le 2 septembre 1870, l’empereur Napoléon III est fait prisonnier à Sedan.

Le 4 septembre 1870, la République est proclamée et un gouvernement de Défense nationale est constitué ayant à sa tête, le général Trochu.

Le 18 septembre 1870, Paris est complètement assiégé par les Prussiens et leurs alliés. Plus aucune communication avec la province n’est possible, il n’y a plus de ravitaillement pour les deux millions de Parisiens encerclés. Dès lors, il est primordial de trouver un moyen de communication avec les armées de province et de sauver Paris. C’est à la tête d’un groupe d’hommes téméraires et volontaires que Nadar fit décoller le premier ballon place Saint Pierre, au pied de la butte Montmartre. C’était le 23 septembre 1870. Cet envol, scelle la création de la première compagnie des aérostiers militaires.

Pendant le siège de Paris du 18 septembre 1870 au 27 janvier 1871, ce sont 67 ballons qui se sont élevés dans les airs, mais seulement 56 ont transporté du courrier. La majorité de ces ballons se sont posés en France, mais aussi en Belgique (5), en Allemagne(2), en Norvège(1), et deux ont fait naufrage en mer. L’un au sud de Plymouth en Angleterre et l’autre au large d’Arcachon. 20 ballons atterrissent dans les lignes ennemies, en zone occupée.

Le 28 janvier 1871, c’est la capitulation de Paris, l’armistice est signé.


2 Description du pli :

Revenons à notre pli transporté par ballon monté et observons le.

Il est adressé à M Salneuve, Vice-président du tribunal civil, 17 rue ?? à Clermont – Ferrand





Il est affranchi par un 20 centimes bleu (YT n°37) de l’émission dite du siège de Paris. Ce timbre est annulé par le cachet d’oblitération Etoile 1 de la place de la bourse (n°3651). Il faut savoir, qu’au terme d’un décret, le transport de lettres était confié aux aérostats montés. L’affranchissement obligatoire était fixé à 20 centimes pour la France et l’Algérie. Le poids d’une lettre ne devait pas dépasser 4 grammes.

L’oblitération Etoile 1 est accompagnée de son cachet a date type 17 des bureaux de quartiers de Paris (n° 1530) correspondant à celui de la place de la bourse. Il indique qu’il s’agit de la sixième levée du 29 octobre 1870.

Au dos du pli, le cachet à date type 17 de Clermont – Ferrand indique l’arrivée du pli en date du 4 novembre 1870.

Il est intéressant de noter que le cachet utilisé par la Poste de Clermont-Ferrand possède l’indication de la levée, ce qui nous amène à nous interroger sur la considération qui était faite à propos de ce pli ?

Le bureau de Clermont-Ferrand possédait surement un cachet à date sans indication de levée qu’il utilisait comme cachet d’arrivée. L'utilisation d’un cachet comprenant l’indication de la deuxième levée peut vouloir nous indiquer l’heure de réception du pli ? (10h00) ou encore qu’il était, vu son transport spécial, pris comme un nouvel envoi vers son destinataire.






3 La correspondance :

Jetons maintenant un coup d’œil à la partie correspondance. Elle est divisée en deux, avec une partie pré-imprimée et l’autre réservée à la partie manuscrite privée.


3. 1 La lettre journal




La partie pré-imprimée est une lettre – journal imprimée sur papier pelure, dite aussi « Gazette des Absents », relatant les évènements quotidiens vécus par les parisiens.

Celle qui nous concerne est la troisième lettre-journal en date du 29 octobre 1870 qui relate les évènements des 25, 26, 27 et 28 octobre 1870.


Extraits :




Les faits relatés chaque jour sont repartis en chapitres :

Rapport militaire, les subsistances, les approvisionnements, les distractions, les ballons, les fausses nouvelles, les dépêches…




Et l’on donne même des nouvelles sur les ballons montés qui sont partis précédemment !




Ainsi que du courrier…




Cette troisième édition de la Gazette des Absents permet à son auteur D. Jouaust de faire le point sur la forme et le succès rencontré. L’édition de lettre – journal ne s’arrêtera pas avec l’armistice du 28 janvier 1871 et continuera de paraitre sur du papier blanc plus fort jusqu’au 22 février 1871. Pendant l’ensemble de cette période ce sont 40 numéros et leurs 8 suppléments qui ont été édités.


3.2 La correspondance privée :


Regardons maintenant la partie de correspondance privée. L'expéditeur écrivait dans le maximum de place qu'il avait à sa disposition. Puis la lettre était pliée de telle façon qu'elle faisait enveloppe.




L’auteur de ce courrier commence par inscrire la date : samedi 29 octobre 1870… et fort sympathiquement pour nous, le récipiendaire de cette lettre a écrit juste après : lettre reçue le 4 novembre. La même date qui correspond au cachet d’arrivée ce qui signifie que le facteur l’a distribuée le jour même.


Certaines parties du texte manuscrit sont intéressantes :





Dernière lettre pareille à celle-ci écrite mercredi 26 courant. Elle a dû s’envoler dans les airs par l’un des ballons partis de Paris.


Résumons les dates portées par ce courrier

          Cette Gazette des absents relate les faits des 25, 26, 27 et 28 octobre 1870.
          La lettre est écrite le samedi 29 octobre 1870.
          Elle arrive à Clermont-Ferrand, sa destination, le 4 novembre 1870.


La mention manuscrite du destinataire atteste la réception du courrier le 4 novembre 1870. Et maintenant plongeons nous dans l’ouvrage majeur de Gérard Lhéritier (Les ballons montés) et cherchons parmi l’ensemble des aérostats partis de Paris quel est celui qui est susceptible d’avoir transporté par les airs notre courrier.

Le vingt et unième ballon à partir pendant le siège est : Le Colonel Charras, il décolle le samedi 29 octobre 1870 à 12h00 de la gare du nord.

Le vingt deuxième ballon est : Le Fulton qui décolle le mercredi 2 novembre 1870 à 8h45 de la gare d’Orléans.

Le vingt troisième ballon est : Le Ferdinand Flocon qui décolle le vendredi 4 novembre 1870 à 9h30 de la gare du nord.

Il n’est donc pas possible que le vingt troisième ballon, Le Ferdinand Flocon, ait transporté ce courrier puisqu’à cette date le pli était déjà à Clermont-Ferrand… Reste les deux autres ballons…

Notre expéditeur a écrit et posté son courrier le samedi 29 octobre 1870 et ce dernier a fait parti de la sixième levée de la journée.

Horaires des levées dans les bureaux de quartier à Paris

Première levée - 7 heures 30 aux bureaux de quartier.

Deuxième levée - 10 heures aux bureaux de quartier.

Troisième levée - midi aux bureaux de quartier.

Quatrième levée - 2 heures aux bureaux de quartier.

Cinquième levée - 4 heures aux bureaux de quartier.

Sixième levée - 5 heures 30, 5 heures 45* ou 6 heures* aux bureaux de quartier.

Septième levée - 9 heures 30 aux bureaux de quartier.

* 5 heures 45 dans les bureaux bénéficiant des levées exceptionnelles, et jusqu'à 6 heures aux bureaux 1 et 24, puis 11 (en 1865).

C’est donc en fin d’après-midi du 29 octobre 1870, entre 16 et 18heure que le pli a été déposé à la boite aux lettres du bureau de quartier de la place de la bourse et enregistré. A cette heure-ci, le vingt et unième ballon, Le Colonel Charras, est déjà parti ! Nous pouvons donc affirmer maintenant que ce courrier a été transporté par le vingt deuxième ballon : Le Fulton.



4 Le ballon monté le Fulton

Le Fulton est un ballon de 2000 m3. Il décolle le 2 novembre 1870 de la gare d’Orléans à 8h45 pour atterrir après 5h15 de vol et 345km à Chanzeaux, petite commune située a mi-chemin entre Angers et Cholet. Ce ballon était piloté par l’aéronaute Le Gloarnec et avait comme passager Ernest Cézanne, ingénieur des ponts et chaussées ; 6 pigeons voyageurs et 250 kilos de courrier avaient été aussi embarqués. Ernest Cézanne avait été chargé par le gouvernement de la Défense nationale d'une mission auprès de la Délégation de Tours, relativement au ravitaillement de Paris. Il devait assurer l'achat de 26000 t de comestibles représentant la consommation de Paris pour 15 jours. Cette nourriture, payée 42 millions ne parvint jamais à destination.

Le marin le Gloarnec, huit jours après son arrivée à Tours, est mort d'une fluxion de poitrine. Ses funérailles ont été imposantes. Les aéronautes présents à Tours, et les délégués des membres du gouvernement ont suivi jusqu'au cimetière le corps du jeune et courageux marin.

Peut-être que le nom de ce ballon monté a été décerné en hommage à Robert Fulton (1765 - 1815), ingénieur et inventeur américain qui conçut le premier bateau à vapeur opérationnel et inventa la torpille.



5 Bibliographie et sources incontournables :

          Le catalogue Yvert Spécialisé des timbres de France Tome 1 – 1975
          Paris Oblitérations de Jean Potion 1984
          France Oblitérations de Jean Potion 1985
          Les ballons montés de Gérard Lhéritier -1990
          La fabuleuse histoire des boules et ballons de la délivrance de Jean-Claude Lettré – 2006
          Le site internet de Jean-Francois Estel http://jef.estel.pagesperso-orange.fr/index.htm



6 Le destinataire, Monsieur SALNEUVE

Qui était M.SALNEUVE, le destinataire de ce courrier ?




Mathieu-Marie-Claude SALNEUVE est né à Aigueperse (Puy-de-Dôme) le 15 janvier 1815. Il fait ses études au collège Bourbon, est reçu licencié en droit en 1836, et docteur en 1841. Inscrit au barreau de Riom la même année, il entre dans la magistrature, le 28 février 1847, comme juge-suppléant au tribunal de Riom, devient successivement substitut, procureur de la République, juge, puis juge d'instruction à Riom, et, le 21 octobre 1865, Vice-président du tribunal de Clermont-Ferrand.

Le 4 septembre 1870, il refuse le poste de procureur-général, et est Président du comité de la défense dans son département. Il obtient, sans être élu, le 8 février 1871, d’être candidat à l'Assemblée nationale dans le Puy-de-Dôme, Il recueille 39,576 voix sur 96,000 votants, puis, à l'élection complémentaire du 2 juillet suivant, motivée par la démission de M. Girot-Pouzol, il est élu représentant du Puy-de-Dôme, par 67,743 voix sur 92,015 votants et 170,459 inscrits, contre 22,985 à M. Auberjon, conservateur. Il prend place à la gauche républicaine, soutient la politique de Thiers, et vote contre la pétition des évêques, contre le pouvoir constituant, pour le service de trois ans, contre la démission de Thiers, contre la septennat, contre le ministère de Broglie, pour l'amendement Wallon, pour les lois constitutionnelles. Il est été admis à la retraite comme magistrat, le 8 août 1874, avec le titre de vice-président honoraire. Le 30 janvier 1876, il est élu sénateur du Puy-de-Dôme par 286 voix sur 569 votants. Il siége à gauche dans la Chambre haute.

Il décède le 18 septembre 1889.

7 Retranscription de la correspondance

Cette correspondance adressée à Monsieur Salneuve, alors vice-président du tribunal civil à Clermont – Ferrand (et bientôt sénateur, mais cela, il ne le sait pas encore !) est un témoignage important de l’état d’esprit qu’il règne dans Paris alors que l’on est au 11ème jour du siège.

Cette lettre n’est pas signée, mais j’ai la conviction que l’expéditeur est une personne très proche de M. Salneuve, elle conclue d’ailleurs cette missive par des « embrassades cordiales ». Après quelques recherches, il s’avère que le destinataire a un frère cadet : Victor. Il est homme de lettres, ami de Béranger et de Lamartine; de là à en faire notre expéditeur potentiel… Pourquoi pas !

« Samedi 29 octobre 1870 (lettre reçue le 4 novembre)

Toujours sans nouvelles depuis le 18 septembre – un tel isolement forcé est vraiment pénible. Quand on écrit sans réciprocité, sans échange d’idées, sans possibilité de répliquer, un pareil exercice est assez monotone, car il devient alors un simple monologue, genre de discours ennuyeux, énervant quand il se prolonge et se répète. Est-il permis de vous croire tous en bonne santé ? Peu accessible à toute pensée mauvaise ou sinistre, l’auteur de la présente, suit son penchant naturel en inclinant vers l’affirmation. Fasse le ciel et nos efforts communs qu’il en reçoive bientôt l’heureuse confirmation !

Dernière lettre pareille a celle-ci écrite mercredi 26 courant. Elle a dû s’envoler dans les airs par l’un des ballons partis de Paris.

L’Officiel de ce jour ouvre un crédit de 40 000 à Dupuy de Lhome pour l’aider à la construction d’un aérostat dirigeable dont il est l’inventeur. S’il réussit, Paris et la province seront incessamment en communication facile malgré le blocus qui nous étreint. Cette situation obsidionale est fort triste, et, sans le rapport matériel, cela ne fait que croitre, mais sans s’embellir.

L’aspect de la ville est tout autre de celui habituel, principalement le soir, car il y a peu d’éclairage jusqu’à 10h1/2, et qu’à cette heure tout lieu public se ferme et le gaz des rues est rendu rare. Cependant quoiqu’il y ait, moins en moins de police, qu’en ce moment tout est d’une tranquillité parfaite, et on ne signale ni vol ni attaque nocturne. La garde nationale est vigilante et veille à la sécurité de tous. Les gardiens de la paix publique, institution substituée à celle des sergents de ville, sont assez nombreux et se composent en majeure partie de l’ancien personnel. Ils semblent avoir une mission en quelque sorte passive.

La Concorde reste inébranlable. Les manifestations en faveur de la commune n’ont amené aucun conflit. L’opinion publique les a désapprouvés. Elles se sont évanouies devant leur impuissance bien manifeste. Les mêmes tentatives à Lyon et à Marseille, quoique suivies, de quelques succès d’abord, ont abouties ensuite à un échec, d’après les dépêches de Tours, ainsi tout parait être au calme dans notre malheureux pays.

Ici la direction des esprits converge unanimement vers des mesures objectives d’expulsion de l’ennemi. Jusqu’à présent, il n’y a aucune dépendance. Résolus comme on est, on saura attendre patiemment le jour de délivrance. Mais il faut être deux fois sûr du succès d’ici et au dehors pour engager sérieusement la lutte. Avec des masses d’hommes et de gros canons, on forcera bien les modernes vandales à fuir. Le journaliste Bismark veut tromper la province et l’Europe par ses infâmes mensonges, mais il n’y parviendra pas avec son Nouvelliste de Versailles. Thiers va arriver ici dit-on. Nos armées du dehors doivent être ???? Bazaine tiendra à Metz jusqu’à ordre contraire. ??? Gallet est toujours grand. Compliments à tous et embrasses cordiales. »


En espérant que ce jeu de piste vous a passionné !

                                                                                                              APN 2015 - Bruno Debove

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