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Catégorie : Art Postal - Mail Art


MAIL-ART ET PHILATÉLIE (1ÈRE PARTIE)

Rédigé par APN.


jeudi 1 décembre 2011

L e Mail Art est une forme d'art utilisant les éléments de la correspondance postale ainsi que la plupart des disciplines artistiques. Plus précisément, le terme recouvre l'ensemble des créations artistiques voyageant à découvert par la poste, comportant une adresse, un timbre et ayant été oblitérées. A ce titre, ces objets d’art posté intéressent la philatélie. Certains les considèrent même comme l’un de ses aspects les plus modernes, en dépit des limites imposées à leur présence dans les expositions officielles de la FFAP. L’Art Postal englobe, en plus des pièces d’art posté, des objets artistiques à connotation postale tels les costumes, les sacs postaux ou les boîtes aux lettres décorés.

                                                           La naissance de l’Art postal
Les théoriciens de l’art contemporain considèrent généralement les années 1960 comme celles de la naissance officielle du Mail Art [i]. Mais les historiens de la correspondance ont trouvé des origines très antérieures à la pratique de l’Art posté ! Ainsi, dès l'invention de la carte postale (Autriche 1869) et du timbre-poste (Angleterre 1840, France 1848), des premiers envois illustrés apparaissent. De plus, bien avant les premières enveloppes entièrement illustrées à la main, quelques techniques simples ont permis d’embellir les correspondances. Dès le milieu du XVIIIème siècle sont réalisées, au pochoir ou à l’aide de tampons, des décorations qui apparaissent sur le feuillet externe des plis. Ces ornements apposés sur le pourtour des lettres, puis des enveloppes se présentent sous forme de bandes ou de guirlandes de fins motifs unis ou bicolores (FIG. 1).

Figure 1 - Pli orné au pochoir, Clermont, 1752 (coll. P-S Proust).



Ces premières décorations constituent les prémices en France de ce qui deviendra l’Art postal [ii]. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, alors que l’intérieur de certains plis se pare de beaux en-têtes imprimés, dessinés ou peints - lettres de soldats dites «de cantinières», correspondances officielles, commerciales, maritimes (FIG. 2.)-, les illustrations à découvert restent cependant exceptionnelles.

Figure 2 - Lettre de marin 1947 (Catalogue d’une VSO).



A partir de 1840, année de la création mondiale du timbre-poste, les postes britanniques innovent encore en faisant imprimer des enveloppes à motif allégorique dénommées «Mulready», du nom de l’artiste qui en réalise l’illustration (FIG. 3). Les philatélistes les connaissent bien. Pour eux, ce sont des précurseurs des entiers postaux. En même temps, d’autres enveloppes dites «caricatures de Mulready» (FIG. 4) sont proposées par des commerçants. Aux Etats-Unis, la Guerre Civile (1861-1865) provoque un peu plus tard, l’éclosion d’enveloppes dites «patriotiques» imprimées tant au Nord unioniste qu’au Sud confédéré (FIG. 5).

Figure 3 - Enveloppe-entier postal Mulready, 1840 (coll. Michel Krempper).



Figure 4- Caricature de Mulready, 1840. (Catalogue d’une VSO anglaise).

Figure 5 - Illustration d’une enveloppe patriotique de la Guerre civile américaine, 1861.



Mais si ce matériel de correspondance incite de nombreux peintres et dessinateurs d’Outre -Manche à décorer leurs enveloppes d’illustrations aquarellées ou de caricatures à la plume, en France en revanche, cette pratique reste plus limitée, encore qu’on puisse également y trouver des courriers très artistiques, souvent plus tardifs (FIG.6, FIG.7).

Figure 6 - Calligraphie et enluminures sur enveloppe, 1868 (coll. P-S Proust).

Figure 7 - Enveloppe réalisée par Frédéric Pioche, postier, 1910 (coll. L’Adresse Musée de la Poste).



Dans notre pays, voyagent alors surtout de petites enveloppes ornées vendues dans le commerce : «les valentines» (FIG. 8 a, b) dont l’origine vient de la coutume d’échanger des présents entre amoureux à l’occasion de la Saint-Valentin. Adressées par la suite en toute occasion, leurs pourtours au pochoir, imprimés, gaufrés ou faits de dentelles de papier, sont le plus souvent illustrés de fioritures, oiseaux ou petites scènes romantiques. Mais déjà peu courantes pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, ces enveloppes se raréfient encore avec la carte postale illustrée, apparue un peu avant 1900 [iii].

Figure 8 a Valentine, 1857 (Coll. P-S Proust).

Figure 8 b - Enveloppe au décor floral, Tarare, 1840 (coll. L’Adresse).


Puis des artistes ou personnalités tels qu’Apollinaire ou surtout Marcel Duchamp (FIG. 9 a) décorent leurs courriers. Mallarmé lui, écrit volontiers l’adresse sous forme de quatrain : «Va-t’en, messager, il n’importe / Par le tram, le coche ou le bac / Rue et 2, Gounod, à la porte / De notre Georges Rodenbach.» (FIG. 9 b).

Figure 9 a - Adresse en quatrain, Stéphane Mallarmé, 1893, (coll. Université de Paris).

Figure 9 b Carte Premier jour du T-P Marcel Duchamp «Neuf Moules Malic».



Par la suite, des œuvres empruntant les voies postales circulent en différents pays. Le premier qui voit émerger un Art postal organisé est l’Italie, dès 1910, avec les futuristes [iv] et Marinetti leur chef de file (FIG. 10). Pour eux, la lettre doit devenir un support expressif excluant les matériaux standardisés, utilisant toutes les techniques de la peinture et du collage, mêlant gaîté et humour.

Figure 10 Marinetti 1914.



                                                       Les refondateurs modernes
Au sein des néo-avant-gardes artistiques, Ray Johnson (1927-1995) est généralement considéré comme le fondateur du Mail Art. Né aux États-Unis, il se tourne très jeune vers l'art et crée en 1962 la «New York School of Correspondance», définie comme une «non-école» où sont encouragées les expressions artistiques en rupture avec les modes antérieurs. Johnson définit le Mail Art comme étant «secret, privé et sans règle», excepté une : «no fee, no jury, technic and size free» (pas de taxe, pas de jury, liberté de format et de techniques) (FIG. 11a, b). Mais le Mail Art ne restera pas secret et privé bien longtemps. Bien au contraire, il va s'étendre et des réseaux vont se créer, pour connaître un véritable essor dans les années 1970, jusqu’à susciter des expositions spécialisées puis l’entrée des œuvres dans les Musées.

Figure 11 a - Ray Johnson et autres, composition, sans date.


Figure 11 b - Ray Johnson, enveloppe aquarellée, 1981 (coll. Guy Bleus).



Simultanément, d'autres artistes, dès les années 1950, développent un Mail Art latino-américain, tels le poète Augusto de Campos et son frère Haroldo. Leur production artistique se veut tournée vers la modernité ; ils s'inspirent de la publicité, utilisant leur art dans des situations quotidiennes de la vie moderne, inventant aussi des «poèmes logos» (FIG. 12).

Figure 12 - Augusto de Campos, poème en forme de tour, 1994.



L’artiste belge Jean-Michel Folon (1934-2005), se présentera plus tard comme le véritable inventeur du Mail Art. De fait, ce créateur de timbres pour les postes belges et françaises (FIG. 13) a collectionné de nombreuses enveloppes conçues par des artistes connus et inconnus du monde entier. Sa collection avait débuté dans une abondante correspondance avec son ami Giorgio Soavi, directeur artistique chez Olivetti, en Italie (FIG. 14). Plus tard, il utilisera des cartes postales comme point de départ de dessins (cartes collées sur du papier), ou de peintures, hommage à leurs illustrateurs (FIG. 15). On doit aussi à Folon l’idée que l’art est un échange dans lequel les propositions de l’artiste doivent, à leur tour, être enrichies par le destinataire, chacun apportant sa propre vision.

Figure 13 - Jean-Michel Folon, T-P du Bicentenaire de la Révolution française, 1999.

Figure 14 - Enveloppe de Folon pour Giorgio Soavi, 14 juillet 1970 (coll. Michel Krempper).


Figure 15 - Carte de Folon pour Giorgio Soavi, 1969.



                                     Le contexte de l'apparition de l'Art postal
L'Art postal est donc d’abord né d'un besoin de communiquer postalement des messages, non seulement par l’écrit mais aussi et d’abord par l'image, en donnant lieu à des échanges dans lesquels règne une liberté totale de création. Dans son renouveau au XXème siècle, le contexte des deux guerres mondiales a joué un grand rôle en incitant de nombreux militaires à dessiner sur les enveloppes ou cartes envoyées à leurs proches. Par le biais de l'expression plastique, ils parvenaient plus facilement à décrire ce qui était trop long à écrire. Les philatélistes avancés sont ainsi familiers des Airgraphs et les V-Mails de la seconde Guerre Mondiale. (FIG. 16, 17).

Figure 16 - Airgraph britannique, MEA type 4, 1944 (coll. Michel Krempper).

Figure 17 - V-mail des armées américaines, 1944 (coll. Michel Wagner).



Après-guerre des artistes comme Matisse (FIG. 18 a, b) ou Jacques Prévert (FIG. 19, 20) prennent un plaisir gratuit à orner leurs lettres amicales.

Figure 18 a - Henri Matisse, dessin à l’encre et à la gouache, 1943 (Bibliothèque de Copenhague).

Figure 19 - Enveloppe avec collage de Jacques Prévert, 1952 (coll. P-S Proust).

Figure 20 - Enveloppe de Prévert à l'artiste Gérard Fromanger, 1974 (coll. P-S Proust).



Puis, dans les années 1950, des artistes influencés par le futurisme [iv], le dadaïsme [v] et le Fluxus [vi] remettent en cause les conventions esthétiques dominantes et produisent un contre-discours militant. Pour eux, l'Art postal se doit de valoriser les liens sociaux, de privilégier l’échange gratuit et faire entrer la création dans la vie quotidienne. Ses tenants aiment aussi tourner en dérision certaines rigidités institutionnelles. Le chef de file des futuristes, Marinetti, ira jusqu'à proclamer (pompeusement) que le Mail Art conduit «une offensive contre la transition académique, à la conquête de la modernité rêvée» ! De plus, en adressant leurs œuvres par la poste, ces artistes prétendent aussi détourner les circuits traditionnels des musées, galeries ou institutions diverses et subvertir ainsi le fonctionnement du marché de l'art.



... à suivre
                                                                                                        Michel Krempper - APN décembre 2011


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[i] Mathilde Ferrer et Marie-Hélène Colas-Adler, Groupes, Mouvements, tendances de l’Art contemporain depuis 1945, E.N.S.B.A., Paris, 1990.

[ii] Pierre-Stéphane Proust, Les plus belles enveloppes illustrée, de 1750 à nos jours, édité par l'association Normandie Terre des Arts et parrainé par le Musée de la Poste de Caen (2 tomes).

[iii] La Philatélie Française n° 631, Nov. Décembre 2009.

[iv] Futurisme : mouvement littéraire et artistique européen du début du XXème siècle rejetant la tradition esthétique du XIXème et exaltant la civilisation urbaine, le machinisme, la vitesse.

[v] Dadaïsme : mouvement intellectuel, littéraire et artistique qui, entre 1916 et 1925, entendit remettre en cause, à la manière de la table rase, toutes les contraintes idéologiques, artistiques et politiques. Les dadaïstes ont mis en avant l'esprit d'enfance, le jeu avec les convenances et les conventions, l'extravagance, la dérision et l'humour.

[vi] Fluxus : mouvement d'art contemporain né dans les années 1960 qui toucha principalement les arts visuels mais aussi la musique et la littérature.

[vii] Fanzine : contraction de fanatic magazine, publication imprimée, périodique ou non, institutionnellement indépendante, créée et réalisée par des amateurs passionnés pour d'autres passionnés.

[viii] Par exemple l’Echo de la Timbrologie en 2010 , n° 1846, Décembre.

[ix] Le site timbresponts.fr témoigne d’une opération ayant associé six Collèges de différents pays européens dans les années 2000 qui a permis la réalisation de 1800 lettres !




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