A l’occasion de la dispersion d’une collection ancienne, est apparu le timbre ci-dessous catalogué comme étant le n°1 des timbres de franchise de la Suisse. Il a été émis en 1871.
Ce timbre de franchise est assez rare, bénéficiant d’une cote de 3000€ sur lettre, ce qui semble indiquer que son usage n’a pas été de très longue durée.
Bien qu’émis par les Postes suisses, ce timbre nous ramène à un épisode de l’Histoire de France, la Guerre franco-prussienne de 1870/1871.
Cette Guerre n’a pas laissé comme seules traces postales originales que les fameux « ballons montés » du siège de Paris, très collectionnés en France.
Ici, il est question d’un évènement passé largement inaperçu et qui, pourtant, a concerné des milliers de soldats français -plus de 87 000 - composant l’armée de l’Est commandée par le Général Bourbaki, et dont les suisses gardent en grande partie la mémoire.
Tandis que Paris est assiégée, des combats se déroulent dans l’est de la France, en particulier en Alsace, région que les prussiens finissent par occuper. L’armée du Général Bourbaki, est battue à Belfort et cherche à se replier vers Lyon. Ses troupes désorganisées et démoralisées se trouvent acculées près de la frontière suisse.
Mais comme les Prussiens avancent depuis l’‘Alsace, il ne reste bientôt plus qu'une seule issue pour cette armée de 87 000 hommes, vaincus par la neige et le froid, exténués, affamés, avec beaucoup de malades et de blessés : venir se réfugier en Suisse.
Afin de permettre à ses hommes de se rapprocher de la Suisse, Bourbaki livre l'héroïque combat de la Cluse (Doubs), qui permet le passage des troupes en retraite en direction de la frontière.
Tandis qu’à Versailles est signé un accord de capitulation mettant fin au siège de Paris, en janvier 1871, l’armée de Bourbaki est laissée seule, n’étant pas incluse dans l’accord.
Dès la mi-janvier, la Suisse avait décrété une mobilisation partielle pour protéger sa frontière et éviter que l’armée prussienne soit tentée de poursuivre les soldats français au-delà de la frontière. Cette armée suisse est dirigée par le général Hans Herzog.
Le 26 janvier 1871, le Général Bourbaki, blessé est remplacé par le général Justin Clinchant. Le 28 janvier, ce dernier sollicite l’internement de ses troupes auprès du Conseil fédéral suisse.
Le 1 er février 1871 à 3 heures du matin, le général Herzog signe la Convention des Verrières avec le général Clinchant. Les armes, munitions et matériaux doivent tous être déposés à la frontière et remis aux soldats suisses. A 5 heures du matin, les premiers soldats français passent la frontière. L'armée de l'Est a vécu.
Les généraux Herzog et Clinchant (à cheval les deux, au centre) juste après la signature de la Convention des Verrières, permettant l'entrée de l'armée de l'Est en Suisse. (extrait de l’œuvre d’Edouard Castres). |
![]() |
Au total, 87 847 soldats dont 2 467 officiers, 11 800 chevaux traversent la frontière en deux jours, en passant par Les Verrières, Sainte Croix et la vallée de Joux.
Côté prussien, Bismarck donne son accord sur cette convention d'internement incluant le désarmement des soldats français.
A leur entrée en Suisse, toutes les armes sont déposées, les chevaux sont pris en charge, les hommes sont soignés d'urgence et nourris. La population civile leur vient en aide dans un grand élan de solidarité. Le tableau « Panorama Bourbaki » peint en 1881 par le Genevois Edouard Castres (Œuvre monumentale de plus de 100x10m exposée à Lucerne depuis 1889) donne une image saisissante de cette arrivée aux Verrières.
La logistique mise en place pour organiser et gérer l'arrivée de ces 87 000 soldats est énorme, bien que peu de détails soient connus.
|
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
commémoratif du passage de la frontière par l’armée Bourbaki à l’occasion du 150ème anniversaire de l'événement. L’image est extraite du tableau d’Edouard Castres. |
Ces soldats sont ensuite conduits par trains dans de nombreuses localités (villes et villages) situées dans 188 communes, et dans tous les cantons (le nombre d'internés accueillis est fonction de leur population) selon la décision du Conseil fédéral. Seul le canton du Tessin n'en a pas accueilli, par manque de moyens de transport. Dans toutes les localités, ces soldats sont très bien reçus par la population suisse, consciente qu'elle doit offrir cette aide humanitaire dans l'esprit de la Croix-Rouge. Comme des soldats sont décédés (du typhus, d'autres maladies et parfois de leurs blessures) dans beaucoup de lieux d'internement, on trouve aujourd'hui encore 160 mémoriaux, avec les noms des soldats gravés dans la pierre, et qui sont autant de lieux de mémoire. Afin de pouvoir donner des nouvelles à leurs familles, la population donne aux soldats des enveloppes et du papier et une plume. Très vite la décision est prise, dès le 3 février, à la demande de la Croix-Rouge suisse semble-t-il que des étiquettes rouges portant la mention « gratis » soient imprimées pour être collées sur les lettres à destination de la France, en « port payé ». Ces envois transitent parfois par la Croix Rouge. |
Cette étiquette est cataloguée sous le n°1 des timbres franchise suisses. |
![]() |
![]() | Neuchâtel pour la France. |
Lettre du 11 mars 1871 adressée à Aarau en Suisse via le Comité de secours de la Croix-Rouge locale. |
![]() |
![]() | Wädenswil par un interné français à destination de Niederbronn (Alsace) territoire français occupé par l'Allemagne. L'étiquette « Gratis » pour la franchise de port n’est pas acceptée et est annulée d’un trait de plume. La lettre transite par Baden et est taxée à 50 cts au bureau de poste de Bâle. |
L’internement dure six semaines, période pendant laquelle les militaires français vont pouvoir utiliser gratuitement ce timbre pour leur courrier personnel. Les rapatriements vont s’étaler du 13 au 22 mars 1871 après la ratification des Préliminaires de paix, le 2 mars 1871.
En aout 1872 la Suisse rend à la France les 140 000 armes saisies plus les chariots et canons ainsi que 11 800 chevaux contre le paiement de 12 millions de francs suisses.
Ces vignettes de franchise postale sont rares à l’état neuf ou oblitéré, plus encore sur lettre, notamment si celle-ci vient de France pour la Suisse.
Elles sont la marque d’une contribution humanitaire de la Poste suisse aux soldats français de 1871, et l’une des premières actions humanitaires de la Croix-Rouge.
Remerciements à JL Emmenegger de Rhône-Philatélie et Christian Raget des clubs de Chatou et Nanterre.