Le salon d’automne a fermé ses portes il y a quelques temps déjà. C’est une manifestation où l’on peut faire quelques trouvailles…
Depuis le temps que je collectionne les lettres de l’Oise, et en fonction de ce que je cherche, je commence à avoir l’habitude d’aller directement vers certains marchands plutôt que d’autres. Je me présente donc au stand de Gerald Prins qui me reconnait et me dit d’emblée qu’il n’a rien sur l’Oise. Il faut dire que je passe régulièrement chez lui, Passage des Panoramas, et que l’on devise quelques minutes du monde des philatélistes et de ses dernières actualités !
Malgré tout je parcours ses deux classeurs de lettres classiques et suis agréablement surpris de trouver une lettre de l’Oise ! Me voyant la sortir du classeur pour l’examiner, Gerald s’exclama : Ah oui, elle est mignonne hein !
Effectivement J’ai sous les yeux, une petite lettre fort intéressante que je vais vous présenter.
Cette lettre sans correspondance est postée le 14 février 1898 de Creil et adressée à Monsieur Lombois Notaire à Précy-sur-Oise.
Le tarif en vigueur pour cette lettre est celui du 6 avril 1878 et il précise : pour les lettres nées et distribuables en France et en Algérie, par tranche de 15 grammes, le tarif est de 15 centimes.
Ce tarif pour lettre changera (à la baisse !) et sera diminué le 6 mars 1906 pour la valeur de 10 centimes.
Notre expéditeur a probablement reçu un entier carte postale qui n’a pas été oblitéré au tarif en cours de 10 centimes ou bien encore, a peut-être acheté un entier qu’il n’a jamais envoyé. De ce fait et voulant faire quelques économies, il découpe cet entier de 10c qu’il colle sur la lettre puis complémente l’affranchissement par un timbre à 5 centimes (YT75 - 5c vert au type II).
Il dépose son courrier dans une boite aux lettres de la ville de Creil. Les postiers de la ville de départ se rendent compte de l’utilisation d’un entier découpé puis collé et que cet affranchissement n’est pas autorisé. Ils apposent sur le devant de la lettre le cachet T dans un triangle indiquant que la lettre doit être taxée par les postiers du bureau d’arrivée. |
En consultant le recto et le verso de cette lettre, nous avons plusieurs cachets de localités différentes… Creil, Boran et Précy sur Oise. |
Faisons un peu de géographie ;
de Précy-sur-Oise Boran est distant de 6 kilomètres de Précy-sur-Oise. |
Mettons par ordre chronologique les différents cachets afin de retrouver le trajet effectué : Le cachet de départ de Creil porte la date du 14 février 1898, 10ème levée. Seules les villes ayant des gros volumes de courrier ont utilisé un nombre de levées importantes. La dixième levée était probablement la dernière de la journée. Le cachet de Boran est en date du 14 février 1898 en 3ème levée, c’est-à-dire une levée à midi. Le cachet d’arrivée à Précy-sur-Oise est en date du 14 février 1898 en 4ème levée, c’est-à-dire une levée à 14h. Comment donc expliquer que les cachets d’arrivée de Boran et de Précy-sur-Oise soient en milieu de journée le 14 et que le cachet de départ de Creil soit en fin de journée du même jour ? C’est impossible ! Nous avons probablement à faire à un postier inattentif ! arrivant le matin au bureau, il reprend le cachet utilisé la veille et change la date du 13 au 14 mais omet de modifier le numéro de levée de 10ème en 1ère … Les trois bureaux étaient des bureaux de direction en 1898 et savaient faire toutes les opérations comptables d’affranchissements et de taxes. Le bureau de Creil est un bureau de direction déjà ouvert en 1684. Le bureau de Précy-sur-Oise est un bureau de direction en février 1855. Le bureau de Boran est un bureau de direction en janvier 1855. Mais pourquoi donc passer par Boran pour aller à Précy-sur-Oise en venant de Creil ? Je vais émettre une hypothèse qui demande à être confirmée ! Il y a deux possibilités pour effectuer la liaison de Creil à Paris en train, soit la liaison la plus courte passe par Chantilly, soit la liaison passe par Pontoise. En 1853 La ligne Creil-Paris passant par Pontoise est exploitée par la Compagnie des chemins de fer du Nord et les gares desservies sont alors : Creil, Saint-Leu, Precy, Boran, Beaumont, L’Isle Adam, Auvers, Pontoise, Herblay, Franconville, Ermont, Enghien, Epinay, Saint-Denis, Paris. En 1874-76 toutes ces gares auront des cachets de convoyeurs stations, ainsi que la gare de Saint-Ouen-l’Aumône. Aux trains de voyageurs était ajouté un wagon-poste. |
Par souci d’efficacité et de rapidité, le courrier allant de Creil a Précy-sur-Oise devait être remis en gare au convoyeur de ce wagon-poste et déposé à la gare la plus proche de sa destination. La gare de Précy-sur-Oise n’étant probablement pas desservie à cette heure, le convoyeur a déposé le sac de courrier pour Précy-sur-Oise à la gare de Boran où l’attendait le préposé de la poste locale.
A la poste de Boran, sur notre lettre le cachet de 3ème levée est apposé puis le pli est transporté jusqu’à la poste de Précy-sur-Oise. De nouveau la trace de passage est indiquée par le cachet de Précy-sur-Oise en 4ème levée, puis le courrier est redistribué aux facteurs. Le facteur lors de sa tournée présente la lettre dans l’après-midi du 14 février 1898 à l’étude de Maitre Lombois. Le secrétariat de l’étude paye la taxe de 20 centimes et deux timbres-taxe de 10c (YT29 taxe 10c brun) sont apposés par le facteur puis annulés par le cachet a date de Précy-sur-Oise. La taxe se calcule comme suit : le manquement du tarif à 15c est de 10c pour l’entier découpé qui est considéré comme nul ; et la taxe est au double de l’insuffisance donc de 2x10c = 20c. |
Notre notaire n’est pas content du tout et refuse la lettre il demande à son comptable de faire le nécessaire…. D’où la mention manuscrite du comptable de l’étude au dos de la lettre :
« Cette lettre suffisamment affranchie pour son poids est refusée pour sa surtaxe dont elle est frappée. Prière de détaxer et renvoyer sans délais. Pour Me Lombois. Michety comptable » (voir image page suivante).
Le Notaire et son comptable ne sont pas au courant que l’entier découpé n’est pas valable. Il est bien entendu trop tard, la taxe a été apposée et perçue et le facteur ne peut pas rembourser les 20 centimes… C’est maintenant une affaire privée entre l’expéditeur et le Notaire ! Deux poids, deux mesures ! Voici une carte postale illustrée affranchie d’un entier postal découpé, mais non taxée. |
Le tarif de novembre 1899 indique que les cartes postales illustrées sont assimilées aux cartes postales et doivent être affranchies au tarif de 10 centimes, ce qui est le cas pour cette carte postée le 25 avril 1901.
Dans notre cas, la supercherie est plus subtile, car un entier découpé sur une carte postale pouvant exister avec un entier imprimé est plus difficile à détecter. Cette carte a été acheminée au destinataire sans être taxée. La taxe aurait dû être de 20 centimes pour la même raison que la lettre au Notaire décrite précédemment. |