La nouvelle avait failli passer inaperçue. Devant le 82ème Congrès de la FFAP à Tarbes, Françoise Eslinger l’avait annoncée : La Poste s’apprêterait à lancer une nouveauté, des timbres marqués de φ, présenté par elle comme le signe symbolique du nombre d’or.
Dans le flot des discours et les torpeurs d’un Congrès, les congressistes ne prêtent pas toujours l’attention qui conviendrait à un scoop. Surtout si leur moyenne d’âge dépasse la cinquantaine et si leurs souvenirs des symboles mathématiques se limite à π, infiniment plus familier.
Fort heureusement, le quotidien édité par l’Organisation des Trois Journées de Tarbes 2009 est venu relayer les propos de la représentante de notre opérateur postal national.
Ainsi, l’information a pu être reprise dans leurs livraisons post-congrès par les deux mensuels nationaux : l’Echo de la Timbrologie, dans l’éditorial de Sophie Bastide - Bernardin , Timbres-Magazine sous la plume de Socrate. La blogosphère philatélique a suivi, mais sans davantage de commentaires sur ce fameux Nombre d’or.
Pour Phil@poste, il s’agirait donc de distinguer ce qu’elle va, à présent, dénommer «timbres de la Nation», définis comme ceux dont la liste a été arrêtée par le Ministre de tutelle, dans une classification des produits en 4 familles : le timbre-poste d’usage courant, le timbre commémoratif, le timbre d’écriture et le timbre personnalisé ; la 21ème lettre de l’alphabet grec Phi, symbolisée en minuscule par φ, devant leur servir de label. A l’évidence, Phi renvoie à la première syllabe de «philatélie». Mais qu’en est il de ce «Nombre d’or» évoqué par la représentante de la Poste à propos des timbres élus au label «φ» ? La Poste française s’apprêterait elle à suivre les Administrations ayant précédemment émis des vignettes postales basées sur ce Nombre un peu mystérieux ? On en trouve un très bel exemple a été donné avec la superbe émission de 1995 de la Poste monégasque du timbre «Le Printemps» d’après Botticelli. Il ne lui valu pas moins qu’une Victoire au IIIème Challenge du plus beau timbre du monde puis la IVème Coupe du Monde . |
Ce timbre-poste dentelé 13, gravé par Pierre Albuisson et référencé Yvert 2010 fut repris dans un feuillet 115*100 réf. Yvert B77 émis en 1997 avec la mention ITVF 1998.
En rapportant largeur et hauteur de ce timbre, on observe en effet, qu’aux erreurs de mesure près, celles ci sont dans une proportion 8/5. Or celle ci est très voisine de 1,618, nombre qui n’est autre que le résultat de l’opération ½ (1 + √ 5), dont justement φ est l’expression, ce qu’on écrit d’ailleurs plus souvent avec la majuscule Φ.
C’est aussi le rapport que l’on obtient à partir des nombres de la suite de Fibonacci dont les termes successifs sont 0,1,1,2,3,5,8,13,21,34,55,,89,144,233,377,610, 997…etc ... Ces termes se calculent en rajoutant à l’un quelconque des éléments celui qui le précède. Ainsi, par exemple 233+144=377. Ce qui donne 233/144 = 1,618 tout comme 89/55 ou 55/44 rapports tous égaux à Φ, pour peu que les éléments de la suite soient assez grands. Egalement remarquable : le rapport inverse, par exemple 144/233 = 0,618 qui n’est autre que le résultat de ½ (1 - √ 5).
En fait, Φ et Φ - 1 sont les racines de l’équation quadratique x²-x – 1=0.
Depuis des siècles, Φ comme son inverse 1/ Φ ou encore √ Φ, Φ², Φ³, correspondent en architecture et histoire de l’art à des proportions réputées spécialement harmonieuses, voire jugées idéales. Pour certains, proches de la perfection.
Phi est connu depuis la plus haute Antiquité. Ainsi, Thalès (- 640 – 548), qui introduisit en Grèce la géométrie égyptienne, mesura la hauteur de la Pyramide de Kéops. Comparant la longueur de son ombre à celle d’un bâton de dimension verticale connue, il pu établir que ce monument prodigieux avait été édifié sur la base de Φ.
Les Anciens parlaient de «partage en moyenne et extrême raison» . Parmi eux, Euclide (300 ans av. JC).
Dans son Académie, sujet de la peinture de Raphaël, il démontra que lorsqu’on partage un segment a+b en deux parties inégales, dont la plus grande a est dans le même rapport au tout a+b que la plus petite b à la plus grande a,
a b
soit a / b = a+b / a
on obtient alors a / b = Φ soit 1,618 …et b/a = - Φ = 0,618
L’appellation sera reprise par le moine Luca Pacioli dans sa «somme» magistrale «la Divina Proportione», publiée en 1509 où il résumera les connaissances mathématiques de ce temps. Puis, avec Léonard de Vinci, qui illustra ce traité, va apparaître l’expression de «section dorée», restée en allemand avec celle de «Goldene Schnitt», en anglais «Gold ratio».
On s’aperçu par la suite que les termes de la suite de Fibonacci se retrouvent dans la nature. Par exemple, le nombre de pétales observé en moyenne dans certaines fleurs : les delphiniums ont 5 pétales, les célandines en ont 8, les doubles delphiniums 13, les asters 21, certaines marguerites 34, d’autres 55 ou 89.
On découvrit aussi que Φ régit plusieurs figures géométriques fascinantes. Par exemple le pentagone régulier étoilé : le pentacle des pythagoriciens.
Dans cette figure, également appelée «pentagramme», le rapport entre la diagonale et le côté est directement dans la «divine proportion», dite encore «proportion dorée». De même que l’intersection de deux diagonales.
Avec les notations du timbre danois, on écrit SN / SH = Φ. De plus HL partage SN en moyenne et extrême raison.
Bernouilli (1654 - 1705), s’intéressant à la spirale que Descartes (1596 -1650) avait baptisée «équiangle» et qui par lui, deviendra «logarithmique», établit que la loi mathématique du développement de cette figure est aussi basée sur Φ.
Un autre timbre suisse de 1987 en donne une illustration remarquable. La spirale de Descartes/Bernouilli passe par les points d’or d’un rectangle doré et dans son tracé s’inscrit un pentagone, lui même issu de Φ ! C’est pourquoi, cette spirale est également dite «dorée» … quand elle n’est pas qualifiée de «merveilleuse».
Par la suite encore, on observa que ce nombre est en fait présent – sous des formes cachées et de différentes façons - dans de nombreux secteurs de la vie sur terre : la botanique, le monde animal, parfois dans le monde minéral et fréquemment dans le domaine des arts : peinture, musique, sculpture ainsi que dans l’architecture, ancienne ou moderne, religieuse ou civile. Manifestations multiples qu’il serait trop long d’énumérer mais que suggère bien le timbre suisse signé Stephan Bundi, qui constitue l’une des pièces maîtresse d’une thématique «Nombre d’Or».
Au point que certains créateurs ont cherché à construire leurs oeuvres en utilisant méthodiquement la proportion dorée. Un seul exemple, pris en architecture avec Le Corbusier (1887 – 1965), architecte d’origine suisse qui présente en 1947 son Modulor.
Il détermine un système de mesure basé sur les proportions du corps humain, dont il considère qu’elles doivent régir l’art de bâtir. Dans le Modulor, on a les rapports suivants : 226/140 = 1,61 183/113 = 1,62 113/70 = 1,61 70/43 = 1,62 43/27 = 1,6 peu ou prou égaux à Phi.
Toutefois, Φ n’a pris l’appellation de «Nombre d’Or» qu’au XXème siècle. Son principal propagateur sous ce nom sera Matila, prince Ghyka, ingénieur formé par plusieurs Grandes Ecoles françaises, docteur en droit, diplomate roumain, auteur des plus importants ouvrages sur le sujet. Notamment avec : «le Nombre d’Or», justement titré ainsi et aussi «Esthétique des Proportions dans la Nature et les Arts». C’est par ce théoricien de l’art que se développera une tendance à associer Φ à l’esthétisme et à en faire la base du Beau absolu puisqu’il serait le secret de la beauté dans la nature …Celle dont s’inspirait Le Corbusier et avant lui des peintres, comme Seurat, Maurice Denis puis d’autres regroupés dans la «Section d’Or».
Mais, le Beau ne serait il affaire que de proportions ? Les points de vue divergent. De même que sur l’omniprésence supposée du nombre d’or dans l’esthétique. Mythe ou réalité ? le débat reste entier. En revanche, ce qui est sûr, c’est que «Phi», sous son symbole φ ou Φ, n’a pas fini d’intriguer, quand il ne fascine pas.
Pour sa part, la Poste de France ne semble pas avoir échappé à la fascination ; φ devant être – selon Françoise Eslinger - la référence des nouveaux timbres décidés par l’Etat et voulus plus «esthétiques» que les autres, timbres dits «d’écriture» ou personnalisés de tout acabit. En attendant une éventuelle opération de chirurgie … faciale qui les reformaterait, nos timbres commémoratifs labellisés φ feront donc, à tout le moins, l’objet d’un traitement cosmétique. Comment ? Par les polices utilisées, l’emplacement des textes dit-on. Et on ajoute «etc …» sans qu’il soit précisé si cet «etc …» englobe ou non le format futur des timbres-poste, ce qui serait pourtant basique … pour qui voudrait réellement se conformer à l’esthétique du Nombre d’Or.
Les timbres de France iront ils donc jusqu’à suivre la voie ouverte par Monaco en 1995 sur cette question des formats ? Là aussi, interrogation. Observons cependant que La Poste n’en est pas loin. Avec des images au format de 35*22 mm, soit une proportion longueur/largeur de 1,59 pour certains commémoratifs courants, des timbres français ne respectent t’ils pas déjà, à peu de choses prêt le nombre d'or 1,618 ? Avec un écart de seulement 1,8 % ? De 1,1% pour ceux comportant une illustration 36*22 ? Comme on dit dans ce cas : affaire à suivre …
En attendant, on ne saurait terminer sans une pensée pour Jacques Riboulet, collectionneur éminent, longtemps pilier de l’AFPT et défenseur d’une philatélie thématique de qualité. Dans un exposé qu’il y avait présenté lors d’une réunion le 17 mars 2001 et consacré au montage des feuilles d’exposition , il nous dévoilait le secret de ses présentations compétitives, primées au plus haut niveau en international, notamment son «Herbe à Nicot» et la raison de son choix du format A3. En tenant compte d’une marge d’un cm de marge sur les côtés , il lui permettait d’obtenir un rectangle horizontal de 40 x 24,72 cm lui laissant 2 cm en bas de feuille et 3 en haut pour un titre. A l’intérieur de ce rectangle parfaitement au «Nombre d’Or », il lui suffisait de tracer un carré pour obtenir un deuxième rectangle Φ et ainsi de suite pour trouver les points focaux de la page et, à partir d’eux, disposer les documents. D’où il est à présent, l’ami Jacques, pas bien compris à l’époque, doit bien rigoler à voir aujourd’hui ce petit rififi autours de Phi.
Outre les livres de Matila G. Ghyka cités dans l’article, on pourra lire :
Chalavoux R. (2001), Nombre d’or, nature et œuvre humaine, Chalagram éd.
Cleyet-Michaud M. (1995), Le nombre d’or, P.U.F./Que Sais-Je ?
Hakenoltz C. (2001), Nombre d’or et mathématique , Chalagram éd.
Hartmann M. (S. d.), L’enfant et le nombre d’or, Amis de Boscodon
Huntley H.E. / Neveux M. (1995), Le nombre d’or, Le Seuil/Points
Neroman D. (2001,) Le Nombre d’Or, clé du monde vivant, Dervy
Vincent R. (2001), Géométrie du nombre d’or, Chalagram éd