Pu Yi – Bernardo Bertollucci – Le Dernier Empereur fin 1987 ? Vous connaissez ? Voici un peu de philatélie sur ces pages d’histoire qui ont fait l’objet d’une série complémentaire du film en France en 2003, abordant cette période peu connue en occident.
Histoire d’histoire !
Un courrier mis en vente par la maison Siegel il y a peu de temps nous rappelle que le Mandchoukouo a été reconnu (de Jure ou de Facto) par un certain nombre de pays mais pas tous. L’Italie fait cette démarche le 29 novembre 1937. Le descriptif du lot était le suivant :
« MANCHUKUO, 1941, Enveloppe de la Légation à Rome ; Affranchissement timbres à 1,25 lire Bleu (214) et 2,50 lire Express (E15) ; oblitération timbre à date de Rome sur enveloppe pour la Suisse, avec indication de l’expéditeur Legazione Di Manciukuo Roma. Au verso une étiquette circulaire de la Légation du Mandchoukouo à Rome. Bande de censure à droite, timbres à date suisses. Très belle et rare enveloppe historiquement importante de la légation du Mandchoukouo en Italie. L’Italie a été la première et l'une des rares nations occidentales à reconnaître le Mandchoukouo comme un État légitime ».
Courrier envoyé de Rome le 18 avril 1941 pour Berne (Suisse). Il transite par Milan le 20 avril (Cachet à Date au verso) et arrive à Berne le 29 avril.
Le Mandchoukouo
Le nom de Mandchoukouo amène, pour certains philatélistes, quelques interrogations. De quel pays s’agit-il ?
Le Mandchoukouo est un État qui fut sous domination japonaise de septembre 1931 à août 1945.
Dans la nuit du 18 au 19 septembre 1931, des soi-disant bandits chinois - d’après la version japonaise - font sauter un tronçon de voie de chemin de fer près de Moukden. Cet évènement est Illustré dans l'album "Tintin et le Lotus Bleu (p 21)" mais Hergé situe l'attentat alentour de Shanghai.
Après cet incident militaire – plus communément appelé incident de Moukden - les troupes japonaises envahissent les trois provinces des régions du Nord-Est de la Chine, établissent un nouveau régime, lié au Japon, au Mandchoukouo et prennent le contrôle de la poste.
Le 1er mars 1932 le Mandchoukouo déclare son indépendance à la Chine et Henri PU YI est mis à la tête du gouvernement en tant que Régent (Seconde partie du film « Le dernier Empereur » de Bernardo Bertolucci (1987) et série télévisée de 2003). Le 1er Mars 1934, il est intronisé Empereur. Ce nouvel État n’est pas reconnu par l'ensemble des pays membres de la Société des Nations (SDN) et fait l'objet de longs débats au sein de cette assemblée. Sa demande d'adhésion à l'U.P.U. reste sans réponse. En 1934, le Mandchoukouo choisit se conformer aux règles de l'U.P.U. en révisant ses tarifs. De fait, ses timbres porteront le courrier aux quatre coins du monde.
Le 8 août 1945 les troupes soviétiques envahissent le Mandchoukouo. Le 15 août 1945, cet État éphémère disparaît après la reddition du Japon. Rendu à la Chine, il redeviendra province de Mandchourie.
La délégation du Parti Fasciste Italien au Mandchoukouo
Sur invitation des japonais, une délégation italienne, composée de 22 membres, se rend au Japon et au Mandchoukouo en 1938. À l’issue de cette visite, une monographie (voir image), retraçant le séjour de la délégation, est offerte à chacun de ses membres. Ce document figure en bonne place au musée national de Turin. Le texte d’introduction en version bilingue figurant dans cette monographie est le suivant :
Il primo passo della Missione Italia in Manciù-Cuo. Oh, finalmente ci vedemmo gli amici confederati!
Per trasportare la santissima e altissima missione umana di antisovietismo, 22 membri della Missione Italiana in camicia nera che sono venuti lontano de Roma passarono a nord in una brezza primaverile la frontiera tra Corea e Manciu-Cuo, allo stato imperiale di Manciu-Cuo.
Il treno amichevole ch’e decorato dalle bandiere d’Italia, Giappone e Manciu-Cuo passo attraverso al fiume nebbioso di Yalu sotto la luce debole lunare arrivo alla stazione di Antung gaiamente alle 1.20 a.m. del 25, avendo visto le bandiere ondeggianti di Benvenuto e le lanterne amichevoli dei popoli lungo la ferrovia di Corea.
E il primo passo che la Missione Italiana ha fatto con una significazione importante. Oh, nostri amici rispetti hanno venuti finalmente! Oh, nostri amici amichevole hanno venuti qui da lontano. Ora, noi, tutti i popoli di Manciu-Cuo hanno una opportunità di veder questi convitati nazionali coll’orgoglio della razza antisovietica
Traduction (de Gérard Rouzade)
Le premier pas de la Mission Italienne au Mandchoukouo
Oh, nous voyons enfin les amis confédérés !
Pour mener à bien la mission humaine la plus sainte et la plus haute de l'antisoviétisme, 22 membres de la Mission Italienne en chemises noires qui sont venus, loin de Rome, passèrent au nord dans une brise printanière, la frontière entre la Corée et le Mandchoukouo, vers l'État impérial du Mandchoukouo.
Le train amical décoré des drapeaux de l'Italie, du Japon et du Mandchoukouo traverse le fleuve brumeux Yalu sous le faible clair de lune et arrive dans la gaîté à la gare d'Antung le 25, à 1 h 20 du matin, après avoir vu les drapeaux ondoyant de bienvenue et les lanternes amicales des peuples le long du chemin de fer de Corée.
Ce premier pas que la mission italienne a franchi a une signification importante. Oh, nos amis respectés sont finalement venus ! Oh, nos amis amicaux sont venus de loin. Maintenant, nous, tous les peuples du Mandchoukouo, avons l'occasion de voir ces invités nationaux avec l’orgueil de la race antisoviétique. »
"Impressions du Mandchoukouo" tel est le titre de cette monographie éditée par le gouvernement impérial mandchou, en 22 exemplaires et destinée aux membres de la délégation italienne en 1938.
Nous voici donc arrivés au point de rencontre entre cet événement et le courrier. En effet, la question est de savoir si une Légation mandchoue fut réellement présente en Italie durant une certaine période.
L’enveloppe
L’enveloppe est très particulière. Il s’agit une correspondance diplomatique au tarif correct. Le timbre de 1,25 lire de la série Mussolini/Hitler venait d'être émis le 28 février 1942 et la destination est plutôt rare à l’époque. Le courrier a été ouvert par erreur par la censure : bande autocollante « Aperta per errore – non censurata » soit ouverte par erreur – non censurée. Ceci confirme le caractère diplomatique de ce pli.
On peut s’interroger sur l’utilisation politique du timbre. Toutefois, depuis 1938, l’Italie a réduit drastiquement ses émissions après celle de l’Empire (28 octobre 1938 – 200.000 exemplaires), un an après (le 15 décembre) la série des chemins de fer de trois valeurs (Tirage 3.000.000) dont le 1,25 lire. Ces 2 émissions ont été retirées de la circulation, fin 1939 et fin 1940.
En 1941, l’émission, de deux valeurs consacrées à l’amitié Italo-germanique, est tirée à 10.000.000 d’exemplaires. Le 1,25 lire sort le 30 janvier. A cette date, il y a toujours le 1,25 lire de la série courante de 1929. On peut conclure que le préposé n'avait pas d’autre alternative et qu’au cas où il y en aurait eu une, il n’a pas vendu la série courante.
Les cachets au recto sont ceux de Roma Ferrovia le 18 avril 1941 pour oblitérer les deux timbres, ce qui est tout à fait normal.
Le verso comprend les coordonnées de l’expéditeur « L’incaricato d’affari del Manciukuo » (chargé d’affaire du Mandchoukuo), le cachet jaune et noir de la Légation pour sceller le pli, l’oblitération de « Milano Ferrovia corrispondanza part.(enza) Espresso » du 20 avril 1941 et les deux oblitérations suisses à l’arrivée du 29 avril, l’une à l’arrivée à 6 H 30 (Euzustellung) et l’autre lors de la distribution (Briefausgabe).
Relations entre l’Italie et le Mandchoukouo (Source documentation : thèse de Silvia Zanlorenzi à L’Université de Trieste - 2015)
« Les relations Italo-Mandchoue ont une origine assez complexe due à la situation économique et militaire en Chine au cours des années 30. L’Italie, implantée à Tientsin depuis la 1ère guerre mondiale (voir les timbres du bureau local italien des années 1920/22), avait des intérêts économiques importants en Chine et voyait l’expansionnisme japonais en Chine avec inquiétude. Les relations avec le Japon étaient compliquées : Sato, le premier ministre était probritannique et ce même Japon était critique sur l’intervention italienne en Éthiopie, même si le voyage de Marconi avait été un grand succès.
L’action de l’ambassadeur d’Italie Auriti et son consul à Moukden (Shenyang), au cours des années 1936/37, va permettre une véritable coopération inattendue Italo-Mandchoue. Le gouvernement allemand, en dépit de son accord avec Tokyo, diverge sur la politique étrangère à mener en Asie Orientale. De plus, Sato quitte son poste de premier ministre. Le Japon, un peu seul sur le Mandchoukouo, va se rapprocher de l’Italie, qui impose la reconnaissance de son implantation en Éthiopie et la préservation de ses intérêts en Chine. Le Japon est épuisé par l’effort de guerre et il doit financer le plan quinquennal mandchou.
L’Italie propose alors son industrie militaire et d’infrastructure au Mandchoukouo et tout se passe très vite ; l’Italie signe le pacte Antikomintern le 6 novembre 1937 et reconnaît la Mandchourie en entraînant une dizaine d’autres pays européens, avec l’implantation d’une mission diplomatique.
L’Italie devient un partenaire incontournable du Mandchoukouo. La diplomatie italienne intervient pour régler les relations avec la Chine et organise le voyage d’une délégation du Parti Fasciste à partir d’avril 1938.
La relation va se diluer à partir du 8 septembre 1943, date de l'armistice des Alliés avec l’Italie qui vient de renverser le gouvernement Mussolini, entre ceux qui adhèrent à la République Sociale Italienne de Salo et ceux restant fidèle au roi.