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Catégorie : Histoire et Actualité Postales


QUAND L’ITALIE GAGNAIT SA PREMIÈRE COUPE DU MONDE DE FOOTBALL, EN L’AN XII DE L’ÈRE FASCISTE

Rédigé par Antoine Sidoti.


lundi 2 septembre 2019

Avant son élimination dans la phase de qualification pour la Coupe du Monde de Football, – alias Coupe du Monde de la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) –, de juin 2018, l’Italie, avec ses quatre sacres en 1934, 1938, 1982 et 2006, et avec ses 18 participations aux phases finales, était, après le Brésil et à égalité avec l'Allemagne, la formation qui comptait le plus grand nombre de victoires dans cette compétition. La Suède, – en battant l’Italie dans leur avant-dernière rencontre sur le score de 1 à 0 au stade Friends Arena de Solna, près de Stockholm ; puis, en lui imposant le score de 0 à 0 au match retour au Stadio Giuseppe Meazza (plus communément appelé Stadio San Siro) de Milan –, en a finalement sanctionné la sortie de la compétition par la petite porte. C’est donc sans la mythique Squadra Azzurra que ce spectacle planétaire sportif à évolué au cours de sa dernière édition en Russie. Revenons en octobre 1932: en accueillant favorablement la demande du gouvernement italien de Benito Mussolini, à Stockholm, la jeune FIFA, – fondée en 1904 – qui se voulait universelle et non politique, avait confié sans remords à l’Italie l’organisation de la deuxième édition de cette compétition internationale, l’ayant préférée à la Suède. La première édition s’était déroulée en 1930 en Uruguay, et le pays organisateur en était sorti vainqueur. En 1934, pour la commémoration de l’événement programmé du 27 mai au 10 juin dans la Péninsule, le Royaume d’Italie avait émis trois séries de timbres-poste commémoratifs, dessinés par Ugo Ortona et Liana Ferri. Cela se passait en l’an XII de l’ère fasciste, et c’est une fois de plus l’organisateur de la compétition qui sortirait vainqueur après des matchs souvent contrastés et une forte pression du pouvoir italien. Neuf valeurs pour l’Italie, douze pour ses Colonies-Émissions Générales, et neuf pour ses Îles Italiennes de la Mer Égée, sont ainsi mises en circulation à cette occasion. Cela pour un total de trente figurines. Pour l’Italie, sept images différentes émises le 24 mai 1934 illustrent ces figurines, poste d’usage courant (cinq valeurs : fig. 1 à 5) et poste aérienne (quatre valeurs : fig. 6 à 9), qui montrent : des joueurs en action (fig. 1 à 5, et 7), les stades de Turin (fig. 6 ; et photos, fig. 47 et fig. 47a), de Florence (fig. 8 ; et photo, fig. 48) et de Bologne (fig. 9 ; et photo, fig. 49).


Fig. 1 à 5: Les cinq valeurs émises le 24 mai 1934.


Fig. 6 à 8: Emissions du 24 mai 1934 pour la Poste Aérienne.


Sept maquettes de l'émission de 1934.


Les neuf essais de l'émission de 1934.



Des stades sont construits ou reconstruits un peu partout. Huit d’entre eux sont utilisés au cours de cette édition : Stadio Littoriale de Bologne (25 000 places), Stadio Giovanni Berta de Florence (45 000 places), Stadio Vittorio Marassi de Gênes (25 000 places), Stadio San Siro de Milan (42 000 places), Stadio Giorgio Ascarelli de Naples (12 000 places), Stadio Nazionale del Partito Nazionale Fascista (PNF) de Rome (45 000 places), Stadio Mussolini de Turin (70 000 places), Stadio Littorio de Trieste (8 000 places). Comme l’attestent les deux extraits suivants, ils sont l’objet d’admiration des journalistes étrangers et font la fierté des Italiens :


– « Aucun stade en Europe, pas même l’Angleterre, n’a des équipements sportifs aussi beaux que l’Italie. Chaque ville a un stade magnifique dont on ne peut surpasser la beauté architecturale. La tour Mussolini [proprement dite Torre di Maratona] au stade de Turin [fig. 47] et les magnifiques tribunes dans le stade Berta de Florence [fig. 48] sont des œuvres d’éminente beauté […] » (Il Piccolo di Trieste, Trieste, 3 juin 1934, où sont résumés les commentaires élogieux d’un journal autrichien de Vienne). {D’après Bolz Daphné, Les arènes totalitaires : Hitler, Mussolini et les jeux du stade, Paris, CNRS Éditions, 2008, p. 148 }


– « Des stades, nous en avons de nombreux et de beaux. Milan a le Palais du sport, Turin a le Stade Mussolini, Bologne le fameux Littoriale, Florence le très moderne “Giovanni Berta”, Rome les “Stade du Parti”, du “forum Mussolini”, de la “Rondinella” […] ». { Barbarino Camillo, Lo sport e la razza, Turin, G. B. Paravia, 1937, p. 57.}


Fig. 47 et 47a: stade de Turin. Fig.48: stade de Florence. Fig.49: stade de Bologne.



Par-delà les différentes images footballistiques et architecturales de circonstance, le faisceau du licteur en est l’unique et commun protagoniste symbolique et politique, dont :


- d’une part, les cinq figurines de poste d’usage courant montrent trois modèles différents (fig. 1a, pour la valeur de 20c. ; fig. 2a, pour les valeurs de 25c., 50c., et 1,25 lires ; fig. 5a, pour la valeur de 5+2,50 lires) ;


- et d’autre part, les quatre figurines de poste aérienne montrent également trois modèles différents (fig. 2a, pour les valeurs de 50 c. et de 5 lires ; fig. 5a, pour la valeur de 75 c. ; fig. 1a, pour la valeur de 10 lires ).



Fig. a, 2a, 5a: le faisceau du licteur qui apparaît sur les émissions du 24 mai 1934.



Cela dit, force est de constater que tous autres emblèmes de caractère politique en sont bannis. En sont curieusement exclues même les classiques armoiries d’État de petit format qui avaient été introduites le 1er août 1929 pour la première fois sur les figurines de l’émission du XIVe centenaire de la fondation de l’Abbaye de Montecassino (fig. 32 ; et détail, fig. 32a) ;



Fig.32 et 32a: Emission Montecassino de 1929.



Elles étaient elles-mêmes la reproduction des nouvelles armoiries du Royaume d’Italie de récente adoption (décret du 11 avril 1929), où les emblèmes de la royauté et du régime fasciste se trouvaient finalement réunis, – imbriqués les uns dans les autres (fig. 31, pour les grandes armoiries ; et fig. 31a, pour les petites armoiries) –, comme le montre par ailleurs le timbre de 2 centimes pour l’affranchissement de la correspondance pour aveugles, communément inclus dans la série dite « impériale », qui sera émis quelques mois plus tard, le 16 décembre 1930 (fig. 33 ; et détail, fig. 33a).





Fig.31 et 31a: les Grandes et Petites Armoiries Regno d’Italia de 1929.




Fig.33 et 33a: émission du 16 décembre 1930.



Auparavant, en effet, quand ils apparaissaient conjointement, les symboles royal et fasciste étaient toujours séparés, comme par exemple sur certaines des dix figurines de l’émission de 1928 pour la commémoration du IVe centenaire de la naissance d’Emmanuel-Philibert de Savoie et du Xe anniversaire de la victoire lors de la Première Guerre mondiale (fig. 34 ; et détail, fig. 34a).





Fig.34 et 34a: Emission de 1928 pour le 4ème anniversaire de la naissance d’Emmanuel de Savoie.



Or, c’est cette absence du symbole royal, qui peut paraître particulièrement choquante dans le contexte d’une compétition retentissante censée promouvoir l’image du pays organisateur tout entier, et qui, en revanche au final, illustre plutôt la réalisation d’un projet spécifique pour la promotion du seul régime en place. Celui-ci réalise ainsi, par timbres-poste interposés, de la pure propagande idéologique à sens unique, pour l’unique bénéfice politique du fascisme en général et de la personne de Mussolini en particulier : comme le démontre l’illustration des figurines de poste aérienne où l’on voit la Tour Mussolini (Torre di Maratona) du stade de Turin et, en haut de l’escalier, devant l’arc, la statue du Duce à cheval, dans une posture conquérante tournée vers l’ensemble des spectateurs, dans le stade de Bologne (fig. 9, et 30 ; et détail, fig. 9a, et 30a) ; sans oublier l’image du salut fasciste fait par un joueur sur deux valeurs de la série, qui apparaît dans la seule émission des colonies générales (fig. 13 et 14).


Fig.9 et 30: Stade de Bologne: la statue du Duce.


Fig.13 et 14: émission des colonies générales italiennes. Le joueur fait le salut fasciste.



Parallèlement à l’émission italienne, onze timbres sont d’abord émis le 5 juin dans le cadre des Émissions Générales des Colonies : cinq de poste d’usage courant (fig. 10 à 14) et trois de poste aérienne (15 à 20). Cela avant qu’une unique valeur de poste aérienne ne vienne s’y ajouter le 21 juin, une fois le championnat footballistique terminé, émise pour commémorer la victoire italienne (fig. 21). Désignant le nom du pays émetteur, l’inscription dit : « R.R. [mis pour le pluriel Regie, en italien] poste coloniali italiane [Postes royales coloniales italiennes] ».


Fig.10 à 14: émission des Colonies générales italiennes.


Fig.15 à 20: émission des Colonies générales italiennes pour la poste aérienne.



Fig.21: émission du 21 juin 1934, émise pour célébrer la victoire italienne en Coupe du Monde.



Les images de cette émission sont toutes différentes de celles de l’émission pour le Royaume d’Italie. Elles comportent les cinq illustrations suivantes : une cage de gardien de but, dans laquelle un ballon est en train d’entrer (fig. 10, 11, et 12) ; un stade (fig. 15, 16, 19) dont la structure, hormis les arcades extérieures, est semblable à celle de l’ovale parfait du Stadio Littoriale de Bologne (fig. 49) ; l’envol d’un gardien de but dans la position allongée de se saisir d’un ballon, pour réaliser une parade aérienne spectaculaire (fig. 17, 18, 20) ; et l’image politique choc déjà évoquée où un joueur, en position debout, placé au-devant de la scène, dans l’axe de la colonne des ruines d’un temple romain, fait le salut fasciste (fig. 13, 14). Observons, par ailleurs la présence, – en plus des éternelles colonnes romaines, dont le régime se glorifie pour s’en réclamer l’héritier –, d’un peu de couleur locale : palmiers (fig. 10, 11, 12), minaret et mosquée attenante (fig. 15, 16, 17).

Cela étant, une image continue d’être constante sur chaque figurine : la reproduction du faisceau du licteur. Sur le plan strictement formel, en plus de certaines silhouettes, identiques à celles déjà vues dans la série pour le Royaume d’Italie, nous comptons deux nouvelles versions du symbole fasciste (fig. 13, 14, et détail, fig. 14a et fig. 17, 18, 20, et détail fig. 17a).

Enfin, la double victoire de la Squadra Azzurra, – footballistique et politique, sportive et idéologique - est illustrée par la figurine déjà évoquée, émise le 21 juin, où l’énorme ballon placé à la droite de l’illustration, – comme si le cadre de la figurine était trop petit pour lui – semble surgir du fond des éternelles ruines impériales romaines (fig. 21). Précisons que c’est la première apparition du ballon en cuir avec la couture apparente, dans ce timbre comme dans l’ensemble des figurines des trois séries émises (pour un total de vingt-et-une).




Fig.14a et 17a : émissions des Colonies générales italiennes; représentation du faisceau du licteur, symbole du parti fasciste italien.


C’est une fois le championnat terminé, avec la victoire de l’Italie, que neuf timbres sont émis le 15 juin pour les Îles Italiennes de la Mer Égée. Mais dans ce cas, il s’agit de la réédition des illustrations de l’émission pour le Royaume d’Italie, imprimées dans des couleurs changées (fig. 22 à 30). Désignant le nom du pays émetteur, les figurines comportent l’inscription, sous forme de surcharge : « Isole Italiane dell’Egeo [Îles Italiennes de la Mer Égée] ».

Les trois modèles différents de faisceaux du licteur des émissions italienne et égéenne et ses deux modèles supplémentaires présents dans l’émission générale des Colonies ont un air de déjà vu. Apprécions cependant : les élégantes verges longilignes des faisceaux qui accompagnent la perspective des colonnes romaines dans un des modèles de poste aérienne de l’émission pour les Colonies générales (fig. 17, 18, 20) ; et, ici même, l’exceptionnel dynamisme de la représentation, où le ballon placé dans l’axe de ces mêmes verges atteint le dessus de la hache du long faisceau du licteur, et où le geste aérien du gardien de but, – plastiquement élancé dans son effort en vue de réaliser une parade spectaculaire, et ses pieds touchant une colonne –, établit un lien physique et idéal entre le lointain passé romain et le présent fasciste, entre la dimension sportive et la portée politique de la victoire fasciste (fig. 20a).


Fig.22 à 30: émissions des iles de la mer Egée du 15 juin 1934, après la fin de la compétition.


Fig.20a : détail de la parade du gardien de but sur le timbre des Colonies générales.


Revenons à un aspect que nous avons déjà effleuré en passant, à l’image du salut à la manière romano-fasciste. Bien que remarquable par son aspect idéologique, il n’a curieusement pas été inséré sur les propres illustrations des émissions italiennes et égéennes. Construite sur trois axes ou niveaux, perpendiculaires, il y a : premièrement, l’expression concentrée du visage et le physique droit comme une perche, au premier plan, du joueur qui est en train de lever son bras droit ; deuxièmement, à sa gauche, légèrement décalée, la colonne du temple romain ; et troisièmement, à gauche de celle-ci, l’habituel faisceau du licteur, dont la hache déborde sur la colonne elle-même. Sans rien connaître ou préjuger de l’intention artistique ou idéologique d’Ugo Ortona, dessinateur de cette figurine, osons la lecture suivante de cette représentation : à l’ombre de l’impériale colonne romaine, solide et protectrice, le supposé héritier footballeur-héros des temps modernes est le produit de la politique symbolisée par le faisceau du licteur !

Une politique qui est proclamée par ailleurs comme étant incarnée par le dieu-Mussolini-protecteur des Jeux du Stade, sous l’autorité de qui le championnat se déroule effectivement. Cela conformément à l’illustration de la dernière figurine de poste aérienne d’Italie, qui montre la Torre Maratona du Stade Littoriale de Bologne (fig. 9), reprise dans la dernière figurine de poste aérienne des Îles Italiennes de la Mer Égée (fig. 30), où l’on peut apercevoir : en haut de l’escalier, devant l’arc, la statue de Mussolini à cheval (fig. 9a ; et fig. 30a). Loin d’être une invention du dessinateur, cette statue a réellement existé. Elle y avait en effet été érigée pour commémorer le VIIIe anniversaire de la marche sur Rome (fig. 45 ; et détail 45a), et elle avait déjà été présentée dans l’émission postale du 27 octobre 1932 pour l’Italie, mise en circulation pour commémorer le Décennale (fig. 35 ; et détail, fig. 35a), et dont nous reproduisons par la même occasion la maquette en bronze (fig. 36){Fondation Lercaro (Bologne)}. La légende du cartouche inférieur de ce timbre du Décennale dit, points de suspension et d’exclamation compris : « … SI J’AVANCE, SUIVEZ-MOI ! … » {Pour en savoir davantage sur ce thème : Sidoti Antoine, «La “tête de Mussolini” dans les émissions postales du Ventennio fasciste, en Italie et dans les colonies italiennes», Le Lien Philatélique de l’Amicale Philatélique de Nanterre, décembre 2010, n° 100, p.16-21; ou, sous un titre différent : «La “tête de Mussolini” sur timbres-poste italiens et des colonies», L’écho de la timbrologie, décembre 2010, n° 1846, p. 48-53}. Les Italiens ont en grande partie suivi, et on connaît la suite ! Ajoutons que, décapitée par la furie populaire le jour de la chute du régime le 25 juillet 1943, la tête de cette statue équestre du Duce a disparu ; nous la présentons ici photographiée chez un privé de Bologne, où elle avait atterri pendant un moment après sa décapitation, avant qu’on ne sache plus ce qu’elle est devenue, posée sur le Pavillon de guerre des forces armées de la RSI, comportant en son cœur l’aigle posé sur un faisceau du licteur horizontal (fig. 45b){D’après:http://lastefani.it/dove-finito-quel-testone-del-duce/index.html}, sachant que la République Sociale Italienne (23 septembre 1943 – 25-26 avril 1945) avait adopté par ailleurs comme drapeau étatique le drapeau tricolore italien, sans marque distinctive. Et disons pour conclure que, – ironie de l’histoire –, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la municipalité de Bologne aurait utilisé le bronze du cheval pour faire réaliser deux statues représentant, l’une, un partisan, et l’autre, une partisane ; quant au corps du cavalier, il aurait disparu.


Fig.45, 45a, 35 et 36 :La statue équestre de Mussolini figurant sur le timbre représentant le stade de Turin; Carte postale et détail, timbre émis le 27 octobre 1932 , maquette en bronze de la statue. Fig.45b, la tête de la statue exposée chez un privé.


C’est sur instigation de Mussolini en personne que cette image du salut romain voit le jour sur ces timbres, comme cela est le cas pour au moins l’une des affiches officieuses du Championnat (fig. 37), sur laquelle on n’oubliera pas de noter la présence du faisceau du licteur dans l’angle inférieur droit (fig. 37a). Conformément à la demande de Mussolini, en octobre 1933 la FIGC (Federazione Italiana Gioco Calcio : Fédération Italienne de Football) avait en effet ouvert un grand concours pour le choix de l’affiche officielle de l’événement. Cent cinquante-huit œuvres avaient été présentées et le Jury avait classé seconde celle de Mario Gros (1888-1977), où le footballeur italien, balle au pied et vu de bas en haut pour lui donner une stature olympique, fait précisément son salut romain.

L’œuvre de Luigi Martinati (1893-1983), classée première lors de ce même concours et qui devenait ainsi l’affiche officielle du Championnat (fig. 38), avait une allure pour ainsi dire plus politiquement correcte, davantage conforme à un événement qui était censé être principalement sportif. Cela bien que les autorités de la FIGC et de la FIFA réunies aient accepté que, sur la poitrine du maillot du joueur, le faisceau du licteur côtoie le blason de la Maison de Savoie (fig. 38a, à gauche de l’image). Et remarquons ici même, pour conclure, la présence du Tricolore italien qui, dans sa bande centrale blanche, montre le blason de la Maison de Savoie dans sa version non couronnée (fig. 38a, à droite de l’image) ; utilisé comme drapeau d’État et de la Marine de Guerre, ce même blason est surmonté par la couronne royale. Avant d’être adopté par le Royaume d’Italie à partir de 1861, ce Tricolore avait été adopté en 1848 par Charles-Albert de Sardaigne, connu aussi sous le nom de Charles-Albert de Savoie (1798-1849), dont le nom est lié à la promulgation du Statut albertin (4 mars 1848) qui avait fait du Royaume de Sardaigne puis de l’Italie une monarchie constitutionnelle.


Fig.37, 37a : affiche officieuse qui a inspiré l’image de certaines émissions, et carte postale officieuse signée des joueurs. Fig.38 et 38 l’affiche officielle de la compétition.


Parmi d’autres images non officielles retenons celles des deux cartes-postales suivantes, qui, dans l’Italie fasciste, alimentent l’imaginaire dans lequel le Championnat du Monde de Football de 1934 a évolué : la première, où le faisceau du licteur s’étend sur la terre entière et, en la débordant à ses deux extrémités, donne l’impression qu’il la fait tourner symboliquement sur son axe incliné, livrée dans l’espace sidéral (fig. 39) ; la seconde, où, sur le fond bleu (allusion à la Squadra Azzurra), le jeu de lumière qui s’irradie du ballon-soleil donne du relief et du mouvement à l’ensemble, et où, depuis le coin supérieur droit, on nous apprend que l’an fatidique « 1934 » correspond à la « XIIe [année de l’ère fasciste] », elle-même étant accompagnée par le lourd faisceau du licteur qui se trouve juste en dessous (fig. 40).


Fig.39 et 40 : deux cartes postales émises pour le Championnat du Monde 1934.



Proche de nos intérêts philatéliques, notamment un timbre « chiudi-lettera [ferme-lettre] » sans valeur faciale, d’Alfredo Capitani (1895-1985), a aussi existé, suffisamment rare de nos jours pour que nous ne soyons pas en mesure d’en donner une reproduction de bonne qualité : sur fond blanc, un faisceau du licteur – de couleur bleu pâle (nouvelle allusion à la Squadra Azzurra) et aux contours très marqués – traverse un ballon de couleur marron (fig. 42, d’après une image prise sur internet).

En gagnant le Championnat et en recevant par la même occasion la propre Coupe du Duce, la Squadra Azzurra venait de combler de bonheur les efforts d’un régime qui considérait le sport comme une des valeurs « mâles » de « l’homme nouveau » qu’il disait vouloir promouvoir, dès le début de son avènement au pouvoir : un énorme bronze offert par Mussolini, comportant l’immanquable faisceau du licteur, une imposante coupe dont la hauteur peut être évaluée à un mètre, en observant la photo de sa remise au vainqueur le jour de la finale (fig. 43 ; et détail, fig. 43a). Et elle le faisait « haut la main », si l’on peut dire, conformément à une des images de l’émission des Colonies générales (fig. 13 et 14), comme à celle des photos (fig. 41). Cela dans un pays essentiellement rural et de récente construction nationale, où le fascisme faisait du football en particulier l’un des moyens devant favoriser cette unité. La chose fut évidemment facilitée grâce à la passion des Italiens pour ce sport, qui permettait à Mussolini de leur donner le sentiment de faire bloc derrière une cause commune, tout en lui permettant de porter un coup au campanilismo ambiant, c’est-à-dire au très fort esprit de clocher des habitants, plus attachés à leur ville qu’à la nation.


Fig.42: ferme-lettre de 1934. Fig.43 et 43a : la Coupe du Duce, imposant trophée, et la cérémonie de remise au vainqueur. Fig.41: la Squadra Azzura faisant le salut romain.


Le journal La Stampa du 11 juin 1934.



Comparée aux dimensions impressionnantes de la Coppa del Duce, celles de la Coupe Rimet faisaient d’elle un nain : ainsi baptisée en 1946 en hommage au père fondateur de la FIFA, Jules Rimet (1873-1956), qui en fut le Président de 1920 à 1954. L’authentique et unique trophée mesure en effet 36,8 centimètres de haut, pèse 6,175 kilogrammes et est en or 18 carats ; œuvre du sculpteur français Abel Lafleur (1875-1953), il représente la déesse de la Victoire tenant un calice octogonal au-dessus d’elle, et repose sur un socle de pierres fines (fig. 44) ; ce trophée d’origine est donc aussi différent du modèle actuel, qui montre notamment à son sommet un ballon soutenu par la déesse.


La Coupe Jules Rimet dans ses deux versions successives.



La victoire finale italienne constituait donc la propre consécration du régime, de même que les émissions postales représentaient sa propre autocélébration : cela sous la forme choisie par lui et lui seul, sous la seule égide du faisceau du licteur, qui, comme nous avons pu le constater, est l’unique emblème présent sur toutes les figurines des trois séries mises en circulation. Elle était acquise le 10 juin 1934 contre la Tchécoslovaquie, sur le score de 2 à 1, en présence de Mussolini, au Stadio del Partito Nazionale Fasciste de Rome (fig. 46), en faisant plus preuve de réalisme que de panache, après des matchs parfois durs et violents, gagnés aussi avec la complicité du corps arbitral, qui a officié sous la pression de Mussolini. Ce dernier avait, en particulier, imposé à la FIFA le nom de l’arbitre de la finale contre la Tchécoslovaquie : le suédois Ivan Eklind (1905-1981). Il avait été auparavant, reçu personnellement par le Duce, et, avant le coup de sifflet initial, il s’était rendu dans la tribune d’honneur pour rendre hommage aux autorités fascistes. L’histoire n’aimant pas les perdants, ce stade du PNF sera démoli en 1957, avant d’être remplacé par le Stadio Flaminio.

Les émissions postales de cet événement footballistique international constituaient ainsi, aux yeux de son ordonnateur, la « juste » contribution gouvernementale mussolinienne qui avait permis à l’identité nationale italienne de se retrouver : autrement dit, un prétexte à la mise en scène de la suprématie nationale et idéologique de l’Italie fasciste.

Les victoires italiennes aux Olympiades de 1936 à Berlin et lors de la troisième édition de la Coupe du Monde de Football organisée par la France en 1938 confirmeront la valeur de la Nazionale Azzurra de cette époque. En recevant le 29 juin 1938, les héros-vainqueurs, dans la Salle des Batailles du Palais de Venise à Rome, en présence notamment du Secrétaire du Parti National Fasciste (PNF) et Président du Comité Olympique National Italien (CONI), Achille Starace, Mussolini exaltera « La fusion harmonieuse des qualités spirituelles, techniques et d’organisation indispensables dans un sport d’équipe, fusion obtenue avec méthode et ténacité par la Fédération elle-même ». {Benito Mussolini, Opera omnia, op. cit., XXIX, 1959, “Ai calciatori azzurri vittoriosi per la seconda volta del Campionato del Mondo”, p. 114}.


Fig.46: le stade du Parti National Fasciste, démoli en 1957.


Cela dit, toute observation extra sportive mise à part, les spécialistes s’accordent pour reconnaître que cette Nazionale Azzurra du Ventennio fasciste ne manquait pas de réelles qualités sportives. Considéré comme le plus grand joueur italien de tous les temps, le champion du monde de 1934 et 1938 Giuseppe Meazza (1910-1979), en faisait justement partie. Cela permet de comprendre pourquoi le Stadio San Siro de Milan porte aussi le nom de ce joueur mythique (à savoir, Stadio Giuseppe Meazza) depuis le 2 mars 1980. Après l’orgie philatélique de 1934, le régime n’émettra curieusement pas de timbres pour fêter la victoire en 1938.

Plus tard, les troisième et quatrième victoires italiennes de la Coupe du Monde de Football, – respectivement, en Espagne et en Allemagne –, seront célébrées, une fois seulement la victoire acquise, avec une unique figurine émise le 12 septembre 1982 (fig. 50), et également une unique figurine émise le 9 septembre 2006 (fig. 51). Sur celle de 1982, est représenté le nouveau modèle du trophée (depuis 1974) qui est soulevé par les mains du gardien de but de la Squadra Azzurra, Dino Zoff, sur le fond du filet qui se détache sur la couleur bleue de l’équipe nationale italienne. Sur celle de 2006, le drapeau tricolore, – sur lequel se détachent les quatre étoiles des victoires italiennes acquises au fil des Championnats –, flotte sur le fond du ciel bleu (en haut) et des joueurs dont le capitaine est en train de soulever la coupe (en bas).

Pour ajouter une cinquième étoile sur son Tricolore vert-blanc-rouge, l’Italie devra patienter encore !


Fig.51 et 52: les timbres émis en 1982 et 2006 à l’occasion des victoires de l’Italie en Coupe du Monde.

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