Curieusement, les philatéliste qualifient de «pré-philatélique» la période précédant l’emploi de timbres-postes pour l’affranchissement du courrier. Comme si la figurine postale collée sur la lettre était essentielle à la philatélie, comme si, hors la présence d’un timbre-poste sur un courrier, le pli n’était plus «philatélique». Comme si, de ce fait, les collectionneurs de ce type de courrier ne méritaient pas l’appellation de «philatéliste» ! Ce qui est effectivement absurde quand on sait le succès et l’importance prise depuis toujours par les collections de lettres et marques postales dans le négoce et les expositions philatéliques ainsi que le cœur des philatélistes spécialisés en «Histoire postale» …
Quoiqu’il en soit, cette prétendue période «pré-philatélique» s’est achevée dans la plupart des pays européens aux alentours de la moitié du 19ème siècle ; les T-P ayant été introduits en Grande-Bretagne en 1840, en France en 1848, dans de nombreux autres pays, dont l’Espagne en 1850.
Cette dernière renouerait elle avec cette tradition 158 ans après la mise en service de ses premières vignettes postales détachables ? Au vu de nombreux courriers expédiés des quatre coins du pays et arrivés depuis deux ans dans diverses destinations, il semblerait bien que oui.
Outre les mentions « Correos España » et leur logo « cor de poste », la caractéristique commune des nouvelles marques postales espagnoles, semble t’il apparues en 2008, est la mention «Franqueo Pagado en Oficina» qui signifie «Affranchissement payé au bureau». Deux différents types de marques peuvent être observées, paraissant correspondre à deux modes de marquage.
Marquage manuel : Les cachets au tampon rencontrés sur le courrier sont rectangulaires, au format 6,3 x 3,8 cm. En leur centre, ils comportent un autre rectangle de 3,6 x 1,9 cm, entourant la date d’expédition au bureau, à gauche et à droite les mentions Correos España, au dessus le nom du bureau, et sous un numéro d’ordre, la mention «Franqueo Pagado en Oficina». Point essentiel : l’absence de timbre-poste, qui tendrait à montrer que ces cachets sont utilisés lorsque le bureau ne dispose pas des vignettes postales correspondant à l’échelon tarifaire et/ou à la zone tarifaire de destination. Autre point, qui différencie complètement les courriers comportant ces cachets avec ceux de la période «pré-philatélique» des 18 & 19èmes siècles : l’absence de toute indication de tarif. Moyennant une marque supplémentaire, nos lettres d’avant l’ère du T-P avaient au moins le mérite de nous renseigner sur le prix payé (ou à payer) selon le poids et la distance. Ces informations sont ici complètement absentes et la même marque est utilisée pour la lettre simple ou la lettre recommandée.
Marquage mécanique : Plusieurs types de machines semblent avoir été mises en service dans les différentes villes espagnoles, qui ne se distinguent entre elles que par des différences mineures dans les empreintes, notamment leur taille. En commun, celles-ci comportent trois parties : au centre, une double couronne de Ø extérieur 2,7 cm , avec ou sans pont, la date en jj.mm.aa sur une seule ligne et entre les deux cercles le nom du bureau avec, dans les grandes villes comme Madrid, son n° Suc . A leur droite, un cadre publicitaire de taille et de contenu variables. A leur gauche, un rectangle de 5,2 x 2,8 cm entourant le label « Correos España », son cor de poste surmonté de la couronne royale et la mention « Franqueo Pagado en Oficina ». Pas davantage que les marques manuelles, les empreintes mécaniques ne comportent d’indication tarifaire. Et sur le courrier, rien non plus ne précise le régime sous lequel il est appelé à circuler. A noter que, contrairement aux marques du premier type, ces marques mécaniques en trois parties ne comportent aucun numéro d’ordre.
Mais si la fonction de ces nouvelles marques reste en premier lieu de matérialiser l’affranchissement de la lettre, on les trouve aussi, à présent, sur du courrier comportant des timbres-postes. Dans ce cas, il s’agit de lettres dont l’affranchissement en T-P est insuffisant par rapport au tarif, eu égard au poids et/ou à la destination.
Précédemment, comme aujourd’hui en France (mais pour combien de temps encore ?), les compléments payés en numéraire au bureau donnaient lieu à l’apposition d’une vignette issue d’une machine électronique de guichet. A présent, la nouvelle marque mécanique permet tout à la fois, de signifier que le complément a été acquitté et d’oblitérer les T-P collés sur le courrier. Double fonction donc : affranchissement et oblitération.
En fait, la mise en place de ces nouvelles marques parait étroitement liée à la suppression progressive des distributeurs automatiques au sein des « Ofinas » espagnoles. C’est du moins l’hypothèse que l’on peut poser à la suite d’un entretien que nous avions pu avoir avec un responsable des Correos, rencontré sur leur stand lors du dernier Salon d’Automne de Champerret.
Selon lui, les vingt dernières années, les Postes espagnoles avaient développé un important parc de machines à distribuer des vignettes d’affranchissement, tant au guichet qu’en libre-service au bureau. Livrées par les principaux fabricants européens, celles ci délivraient des figurines parfois d’une grande qualité graphique. Mais face au gonflement de leur coût d’entretien - maintenance et celui des fournitures en papier et encre, la décision aurait été prise d’abandonner ce type d’équipement et de mettre en place, corrélativement, des moyens manuels ou mécaniques, moins onéreux.
Vraiment plus économique au global ? Cela ne semble pas certain. Certes, on économise d’une part sur le matériel et les consommables. Mais de l’autre, on augmente nécessairement le travail des employés au guichet, donc les frais de personnel … et sans doute la durée d’attente des usagers. Mais celle-ci n’est pas comptée, évidemment.
En France, La Poste parait avoir fait un choix stratégique complètement opposé. Dans ses Bureaux nouvellement agencés, afin de réduire la charge des guichets ainsi que les temps d’attente, elle invite ses clients, aujourd’hui encore davantage qu’avant, à utiliser le plus possible ses automates électroniques, rendus aptes à distribuer des vignettes pour tous les types et niveau de tarification, y compris la recommandation et utilisables par CB à partir de 0,01 euro.
Pour reprendre une terminologie d’économiste anglo-saxon : « capital saving – labor using » au sud des Pyrennées ; « capital using - labor saving » au nord ? Vérité d’un côté, erreur en deçà ? Vieux débat, pas prêt d’être clos. En tous cas : affaire à suivre et pas seulement par les marcophiles.
Michel KREMPPER APN 92