Aller à gauche

Catégorie : Histoire et Actualité Postales


PHILATÉLIE DE GUERRE : JOURNAL "LE PAYS DE FRANCE", 16 MAI 1918

Rédigé par APN92.


samedi 6 octobre 2018

Le journal, « Le pays de France » publie le 16 mai 1918 un article de Philatélie de Guerre, sous la plume de René Claude Orcel.


C’est un texte remarquable au vu de la situation qui prévalait alors, dans une période où la victoire était encore incertaine.


Nous le reproduisons en essayant de l’illustrer avec un maximum des timbres cités mais non reproduits dans l’article original.


« Parmi les conséquences imprévues de l’effroyable guerre qui déchire actuellement le monde, une des plus curieuses est assurément l’éclosion d’une véritable collection de timbres-postes de guerre.


Ce n’est pas la première fois que les circonstances donnent naissance à des timbres occasionnels : timbres commémoratifs d’expositions, d’inaugurations, de centenaires, de couronnements de souverains, de jubilés…. Tous les prétextes ont été bons, toutes les occasions favorables et les gouvernements, en les saisissant pour faire des émissions, ont satisfait à l’avidité de nouveautés qu’ont les philatélistes du monde entier. Il est vrai que cette bienveillance officielle n’allait pas sans procurer aux caisses publiques des recettes assez rondelettes. Les mauvaises langues prétendent même que certaines Républiques sud-américaines inscrivent au nombre des meilleurs revenus de leur budget la vente aux amateurs de fréquentes et brèves émissions de timbres sans cesse renouvelées pour les besoins de la cause.


Mais ces émissions, qu’elles qu’ait été leur importance, sont distancées et de loin, par les timbres du grand conflit. En effet on compte plus de 500 modèles à l’heure actuelle ! Et la guerre n’étant hélas pas terminée, la série ne peut que s’accroître…


Les amateurs n’ont donc que l’embarras du choix et les collectionneurs peuvent déjà former un respectable album avec les dernières créations.


Qu’elles seront intéressantes les pages de ces volumes, quels souvenirs merveilleux, tristes ou heureux, émaneront de chacune des minuscules vignettes qui les constelleront d’une multicolore poussière de gloire !


C’est avec émotion qu’on en tournera les feuillets chargés, évocateurs des cruelles et grandioses heures que nous vivons. Et puis, humbles petites choses, n’aurez vous pas emporté bien souvent, sous l’enveloppe que vous tachez de couleur, un tendre souvenir à l’absent, un encouragement au blessé…. Dernièrement une fillette n’était-elle pas vue couvrant de baisers l’enveloppe timbrée de ces jolies vignettes à l’effigie de nos illustres généraux, - éditées par l’Alliance Française- qu’elle glissait dans la boîte aux lettres en murmurant « A bientôt, papa… » Et pour de tels gestes, dans lesquels le cœur se fond, vignettes de coloris et de composition variés, vous méritez d’être conservées pieusement.


A la précieuse valeur du souvenir, les amateurs n’ignorent pas que s’ajoute la valeur du timbre de guerre, valeur plus matérielle et plus immédiate. Certains timbres occasionnels ont atteint à ce point de vue, on le sait, des cotes très élevées. Nul doute que les timbres de guerre n’atteignent dans un avenir plus ou moins lointain, des taux bien au dessus de leur émission.


La question est de savoir choisir parmi leur cohorte bigarrée ceux dont la rareté augmentera bientôt le prix. C’est assurément le plus délicat de l’affaire, car tous les pays belligérants ont émis ou laissé émettre d’innombrables timbres.


Il y a d’abords les timbres surchargés. Les philatélistes renseignés savent à quels prix fabuleux peuvent monter des spécimens de cette nature.


Dans cette catégorie, voici les timbres du Togo. Surchargés en noir : « Togo occupation franco-anglaise », les timbres valent déjà de 3 francs à 1.500 francs (fig.1).


Fig. 1: Les premières surcharges sont réalisées en 1915 : 7 timbres allemands du Togo sont surchargés « Togo Anglo French occupation » puis 11 avec la surcharge « Togo occupation franco-anglaise ». Les Anglais surchargent 13 timbres de la Gold Coast de « Togo anglo french occupation ». En 1916, 12 timbres anglais sont à nouveau surchargés et 17 timbres Français (AEF) sont surchargés « Togo occupation franco-anglaise ».


Voici les timbres qui circulent dans notre cher territoire d’Alsace reconquise. Ce sont les treize timbres fiscaux allemands d’Alsace-Lorraine, surchargés : « République Française », et les vingt-trois timbres fiscaux français avec surcharge : « République Française. Alsace », et valeur en pfenning et mark. Espérons que nous les verrons bientôt circuler sur tout le territoire de l’Alsace entièrement redevenue française…


Mais hélas ! À côté de ces timbres, en voici qu’on ne voit pas sans souffrir : ceux de la Germania cuirassée, surchargés « Belgien » et de la nouvelle valeur en centimes, que les Allemands ont mis en circulation en Belgique depuis qu’ils l’occupent (fig.2).


Fig.2: Timbres allemands surchargés « Belgien ». Emis à partir du 1 10 1914, ils auront cours jusqu’au 11 novembre 1918.



Fig.3.1: Timbres allemands surchargés «Russich-Polen » d’occupation de la Pologne. Cinq valeurs ont été émises le 12 mai 1915, et 11 en 1916.


Fig.3.2: Timbres allemands d’occupation de Varsovie en Pologne. 11 valeurs ont été émises en 1916.


Fig 4 : série de 7 timbres turcs surchargés en caractères turcs « capitulation des ports étrangers » le 1er octobre 1914.


Le même timbre, avec la surcharge « Russich-Polen », a cours en Pologne (fig.3). La vente de ces timbres est interdite en France, sous peine d’amende ou de prison.


Parmi les plus intéressants des timbres surchargés, voici également ceux de la Turquie. Lorsque les bureaux de poste étrangers cessèrent de fonctionner sur son territoire, la Turquie apposa sur sept de ces beaux timbres figurant les monuments de Constantinople et les sites du Bosphore, une surcharge « Capitulation des ports étrangers », en caractère turcs. Ces timbres ne circulèrent que peu de temps et sont déjà très rares. (fig.4).


Le Canada a très heureusement gravé, dans le cliché de ses timbres de 1, 2, et 3 cents, en blancs : « War tax ». Voilà une surcharge qui ne nuit pas à la beauté du timbre. (fig.5).


Fig 5 : Le Canada va, dans un premier temps surcharger les timbres courants du texte « war tax » avant d’intégrer ce texte dans la gravure du timbre.


Tous les timbres de la Croix-Rouge de nos colonies sont des timbres qui avaient cours au moment de l’ouverture des hostilités et qui ont été surchargés. (fig.6).


Fig.6: Maroc, 1914, Dahomey, 1915, Côte d’Ivoire, surcharge Croix Rouge sur une valeur en 1915, Gabon 1915: 3 surcharges différentes sur la même valeur, Sénégal, une valeur en 1915, Tunisie: surcharges 1915, 1916 et 1918.


Récemment une émission a été faite de la Croix-Rouge de l’Inde française, sur laquelle la nouvelle surcharge affecte la forme de la Croix de Malte.



Fig 7: Emission croix rouge de l'Inde Française.



Des timbres du Levant français viennent d’être surchargés à la main : « Ile Rouad ». Cette surcharge, verticale, a été apposée à gauche. Ces timbres circulent dans la petite ile de Rouad, située sur les côtes de Syrie, qui appartenait à la Turquie et qui est maintenant occupée par nos troupes. (fig.8).


Parmi les nouvelles émissions surchargées, voici le Maroc français. Deux nouvelles valeurs, de 2 et 5 francs, sont venues compléter la série en cours avec la même surcharge et la valeur en monnaie hassani. Ces deux nouvelles valeurs n’ont été tirées qu’à 30 000 exemplaires chacune.


Des timbres très intéressants sont ceux émis à Salonique par l’imprimerie de l’armée britannique qui les vendit au consulat britannique. Ils servirent jusqu’au 9 mars 1926 à l’affranchissement des lettres des soldats anglais. Depuis cette date, sans qu’on sache pourquoi, ils ne sont plus en circulation.


Fig.8: Rouad, petite île située sur la côte de la Syrie, est occupée par les troupes françaises à partir de septembre 1915. Le corps d’occupation bénéficiant de la franchise postale, les besoins du bureau de l’île en terme de timbres postes étaient réduits. Dans l’attente de recevoir les timbres officiels destinée au bureau, il a été décidé localement de la création d’une surcharge provisoire. Il existe deux types de surcharge : la première est une surcharge confectionnée à l’aide d’un cachet à main unique représentant le texte ILE ROUAD généralement appliqué verticalement de bas en haut sur la gauche du timbre sur des timbres du Levant. Elle fut utilisée début 1916.


Parmi les timbres absolument nouveaux, créés depuis la guerre, celui qui nous est assurément le plus cher est le timbre au coq d’Alsace, si fièrement campé sur ses ergots. La vignette d’un format plus grand que l’ordinaire, est d’un rose tendre et porte en caractères imprimés : « République Française, 1915 ». (fig.9).


{ Le coq de Thann-Masevaux-Dannemarie : Dès août 1914, les hautes vallées de la Thur (Thann, Saint-Amarin), de la Doller (Masevaux), de la Largue (Dannemarie) redeviennent françaises. Elles le restent pendant toute la guerre, administrées par les autorités militaires. L’Administration française fait imprimer une série fiscale spécifique, aux faciales en pfennig et mark, représentant un coq. Outre la faciale présentée ci-dessus, 4 autres valeurs furent imprimées : 10 pfennig rouge, 1 mark vert, 2 mark violet et 5 mark bistre. Seule la quotité à 5 pfennig a été émise.}




Fig.9: Le coq d’Alsace,1914, valeur en pfenning.



La Belgique, trop tôt hélas ! avait émis des timbres commémoratifs du siège d’Anvers. (fig.10). Depuis, l’Angleterre lui a offert une série de trois timbres à l’effigie d’Albert 1er, qui se vendent le double de leur valeur, au profit de la Croix Rouge du Havre (fig.11). Puis sont apparus, en octobre 1915, sept timbres à l’effigie du roi (fig.12) et sept autres, de grand format, imprimés en taille douce, commémorant le martyre de la Belgique. Cette dernière série est très jolie (fig.13).


Fig.10: Belgique, émission dite du siège d’Anvers, 1915.


Fig.11: émission pour la Croix rouge du 1er janvier 1915, elle comporte 6 valeurs.


Fig.12: émission du 15 octobre 1915 qui comporte 15 valeurs.

Fig.13: Martyre de la Belgique. Composée de 4 visuels. Les 3 premiers ont été émis dentelés 14 et dentelés 15. La série comporte donc 7 valeurs.


L’Italie a émis deux timbres de Croix-Rouge qui ne sont pas très artistiques ; l’un figure le drapeau italien, l’autre l’aigle romaine (fig.14).


Fig.14: Emission Italienne pour la Croix Rouge, 2 valeurs en 1915, et 2 en 1916.



L’héroïque petite Serbie a émis au moment de ses premiers succès des timbres figurant le roi Pierre et son état-major assistant à une victoire serbe. Hélas !... (fig.15).


Fig.15: Serbie, émission du 15 octobre 1915.



La Russie a émis des timbres de composition et tirage très soignés. Les vignettes, de grand format, ont un caractère intéressant. (fig.16). Pendant que nous parlons de la Russie, mentionnons ces éphémères timbres-monnaie de fin 1915. (fig.17).


Enfin la révolution russe a donné naissance à de nouveaux timbres, en papier-carton, de 1 et 2 kop, surchargés en noir ; ceux de 3 ½ et 7 roubles sont émis dans les couleurs de la série du Levant et imprimés sur papier losange (fig.18).



Fig 15, 16 et 17: émissions Russes.



Le nouvel Etat de Finlande, lui, a des vignettes figurant le lion finlandais en vert, en rose et en bleu (fig.19).


Fig. 19 : Le nouvel Etat de Finlande va émettre 8 valeurs entre le 1er octobre et le 18 décembre 1917.



Tandis que le Congo français et la côte des Somalis retiraient de la circulation leurs timbres de 1909 et incinéraient le stock restant, l’Espagne, manquant d’aniline, prépare un nouveau timbre de 15 centimes ; au lieu d’être carmin, il sera rose-saumon (fig.20).


                                        
Fig.20: Timbre espagnol à l’effigie du roi Alphonse XIII. La première émission date de 1912.



Valenciennes (fig.21) et Varsovie (fig.22) ont émis dès l’occupation allemande, des timbres pour le postage en ville, qui atteignent déjà 50 francs chez nous.



Fig. 21 : Timbre de Valenciennes 1914. Valenciennes, chef-lieu d’arrondissement du Nord, grande ville industrielle à l’époque (37.000 habitants) connut l’occupation dès le 29 août 1914. A la veille de son investissement par les forces allemandes, la poste, avait évacué la cité, qui se trouva privée de toute communication avec le reste du pays. Devant cette situation que la chambre de commerce de la sous-préfecture eut l’idée d’organiser un service postal intérieur dans les limites de sa circonscription. Elle obtint de l’occupant, l’autorisation nécessaire à la condition exprès que tous les plis circulent ouverts après avoir été visés par la censure. Un timbre spécial fut créé le 3 septembre 1914, sur les presses de l’imprimerie Dehon, de Valenciennes. Il fut tiré en lithographie à 8000 exemplaires. Ce timbre portait simplement en blanc sur rouge vif : « Chambre de commerce de Valenciennes – 1914 – Service postal intérimaire – 10 ct. ». Les planches étaient formées de 5 rangées de 5 vignettes. Le système fonctionna régulièrement du 8 septembre au 30 octobre 1914.


Melbourne (fig.23), Chicago (fig.24), Pondichéry, Petrograd, etc. ; ont créé des timbres de charité, de grand format et d’intéressante composition.


A côté des timbres « officiels », voici la troupe variée des timbres créés par l’initiative privée, (fig.25) associations ou particuliers, et dits « timbres patriotiques ». Voici, plus nombreux encore, ceux dits « timbres militaires », d’autrefois et d’aujourd’hui, des armées alliées. Les régiments sont immortalisés en de grandes vignettes symboliques, ainsi que les gendarmes, l’aviation, les G.V.C (Gardes des voies de communication Ndlr), les aumôniers militaires, la marine, la Croix de guerre. Etc.


Fig.23: Timbres australiens perforés OS à Melbourne utilisés de 114 à1918, émission de charité de Chicago 1915, l'occupation autrichienne, se réfugia à Bordeaux. Son administration a utilisé pendant 3 semaines du 6 au 24 Juin 1916 divers timbres français (Semeuses et Merson) surchargés "SP - Bordeaux". Cette émission fut interdite par le Gouvernement Français.


Amateurs, soyez tous aux aguets. En collectionnant les timbres de guerre, postes ou fantaisie vous édifierez un véritable monument d’histoire. En enrichissant le trésor des traditions nationales, vous constituerez un véritable trésor personnel.


Entassez inlassablement le plus de documents possibles, recueillez-les, multipliez les vignettes, précieux vestiges de l’art des nations qui enseigneront plus tard à vos descendants l’histoire de la guerre de notre génération.


Ceux qui recueilleront les timbres dès la première heure arriveront aisément à se constituer une collection imposante et à relativement peu de frais. La hausse des cotes a commencé et de petites fortunes sont en train de se faire puisque trois timbres de guerre valent déjà 30 000 francs.


Patriotes, curieux, collectionneurs, à l’ouvrage ! L’album des timbres de guerre sera un reliquaire précieux et par sa valeur intrinsèque et par son origine historique, car les compositions de vignettes seront une véritable épopée de la grande guerre. ».


Fig 25: Timbres d'occupation allemande en Lituanie et Roumanie.



Aller à droite