Dans différentes émissions, la qualité d’impression laisse, hélas, plus ou moins à désirer. Par exemple les figures 14 à 18.
Au niveau technique, le tableau original du Louvre se caractérise par son flou, en italien sfumato, très difficile à rendre sur un timbre-poste, à moins d’un effort particulier de l’imprimerie. Le sfumato, qui signifie littéralement «enfumé» également traduisible par «évanescence», est un effet vaporeux, obtenu par la superposition de plusieurs couches de peinture extrêmement délicates qui donne au tableau des contours imprécis.
Léonard de Vinci a notamment employé cette technique au niveau des yeux dans la mise en ombrage. Ce flou est en quelque sorte la «marque de fabrique» du peintre qui distingue l’œuvre originale de ses innombrables copies.
À la décharge des administrations postales, notons que sur les timbres, la fidélité aux teintes d’origine est également rendue très difficile par leur évolution au cours des siècles. A la longue, les couleurs ont en effet fini par se mélanger en une sorte de grisaille, comme l’a récemment et très parfaitement mis en évidence une émission télévisée de France 5 (6). Quoiqu’il en soit, il nous semble qu’auraient pu être plus soignées des émissions comme les figures 19 à 21. |
___________________________________________________________________________________________ 6 TV5, Mythe et mystère, La Joconde enregistrement de l’émission du 15 décembre 2011. |
Émissions zoomant un détail du tableau Plusieurs timbres ne s’attachent qu’à certains détails de l’œuvre. Avec la position des mains, l’expression du visage, les yeux et la bouche sont le plus souvent isolés (Figures 22 à 24). Le sourire de La Joconde constitue à l’évidence l’élément le plus caractéristique du tableau. Il a le plus contribué au développement du mythe généré par l’œuvre. Ce sourire apparaît comme suspendu, prêt à s'éteindre : quand on le fixe directement, il semble disparaître pour réapparaître lorsque la vue se porte sur d'autres parties du visage. Le jeu des ombres accentue l'ambiguïté qu’il produit. Depuis des siècles, le visage énigmatique de Mona Lisa est source d’interrogations, de même que la personnalité réelle du personnage représenté (7). Très majoritairement, les historiens s’accordent à considérer Lisa Del Giocondo, née Lisa Maria Gherardini en mai 1479 à Florence (Toscane), épouse de Francesco di Bartolomeo di Zanobi del Giocondo avec qui elle eu trois enfants, comme le modèle du tableau dont le nom viendrait de Madonna (Madame, en français), abrégé en Mona, et Lisa, son premier prénom. Mais d’autres conjectures ont aussi été émises : on continue parfois à considérer le tableau de La Joconde comme un autoportrait travesti, ce qu’attesterait la superposition sur le portrait de Mona Lisa des calques des autoportraits du peintre présents dans ses carnets de croquis. On s’est aussi basé sur une analogie : le visage de Mona Lisa serait superposable à celui de Catherine Sforza, princesse de Forli dans un portrait peint par Lorenzo di Credi. Mais ces deux points de vue sont restés minoritaires. La charge symbolique du tableau est particulièrement remarquable. En italien, giocondo signifie « heureux, serein ». Léonard était sûrement conscient qu'il peignait non seulement le portrait d'une femme, mais aussi celui d'une expression. La Joconde constitue réellement le portrait de la sérénité idéale, comme la maternité épanouie de Mona Lisa del Giocondo qui venait de donner la vie à son troisième enfant lors de la réalisation de l’œuvre. La toile présente d’ailleurs une caractéristique bien particulière : les cheveux du modèle, non pas noués mais pendants, ce qui, à l’époque, n’était autorisé qu’aux femmes relevant de couche … ou aux prostituées. Des recherches récentes ont en outre établi que le sujet portait d’ailleurs sur elle le voile dont se couvraient les accouchées. D’aucuns voient donc dans La Joconde l'expression de la féminité, voire de la maternité, car elle semble apparaître comme tenant un enfant dans ses bras. Dans une analyse fouillée, Sigmund Freud attribue à «Caterina, la propre mère de Léonard … ce mystérieux sourire, un temps pour lui perdu, et qui le captiva si fort quand il le retrouva sur les lèvres de la dame florentine» (8). |
______________________________________________________________________________________________ 7. Sophie Herfort, La Joconde : qui était vraiment Mona Lisa ?, Michel Lafon, 2011, 304 p. 8. Sigmund Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, traduction et notes de Marie Bonaparte, NRF Gallimard, coll. Idées, 1983, 155 p. Émissions d’une image recadrée avec parties manquantes Beaucoup de reproductions philatéliques, en fait la majorité, souffrent d’un recadrage plus ou moins pertinent. Certes, le format original de l’œuvre 77 x 53 ne se prête pas à un rapport de réduction toujours réductible à celui d’un timbre. Mais la plupart des redécoupages conduisent à l’omission des détails du fond, d’importance non négligeable. Exemples figures 25 à 34. On peut regretter ces recadrages dans la mesure où un examen attentif de l'arrière plan de l’original montre un paysage montagneux également remarquable, bien visible sur la carte maximum allemande, à défaut de l’être sur le timbre. Deux sujets secondaires s’y détachent : un chemin sinueux et une rivière enjambée par un pont de pierre, seul élément architecturé de l’ensemble (Figure 35). Daniel Arasse, éminent historien de l’art, explique que ce pont peut être vu comme le symbole du temps qui passe. Pourquoi pas ? Mais chez Léonard de Vinci tout comme chez ses disciples, la présence du pont est récurrente. Réminiscence d’ingénieur ? C’est également possible (10). Ce génie universel a lui-même inspiré la construction du pont de la Sainte Trinité à Florence (figure 36), édifié après sa mort à partir d’une de ses esquisses. On lui doit également l’invention des ponts-tournant, que commémore une maquette visible au château du Clos-Lucé d’Amboise, ultime demeure du grand savant, aujourd’hui musée (figure 37). Un pont se retrouve aussi sur d’autres peintures inspirées par Léonard de Vinci à ses successeurs, comme par exemple Léda, huile sur panneau de bois, 112 x 86 cm réalisée vers 1505-1510, visible Galleria Borghese à Rome (Figures 38 et 39). L’observation minutieuse du fond révèle également une cassure de la ligne d'horizon, détail également très intéressant. La tête de Mona Lisa sépare le tableau en deux parties dans lesquelles l'horizon ne se trouve pas au même niveau : du côté droit du tableau, cette ligne semble plus élevée que du côté gauche. Selon Daniel Arasse ceci renforcerait le symbolisme féminin. Pour Thierry Gallier, cette dissymétrie participe à sa démonstration de l’Isis révélée. |
______________________________________________________________________________________________
9 Daniel Arasse, Histoires de Peintures, Denoël 2004 (réédition. Folio-poche 2006), transcription de la série d'émissions diffusées sur France Culture pendant l'été 2003 (livre et CD-Rom sous mp3).
10 Michel Krempper, Cherchez le pont, L’Echo de la Timbrologie, n° 1822, octobre 2008, page 56.
Images détournées
Des timbres, bien qu’issus d’émissions officielles, n’ont gardé que des rapports lointains avec le chef-d’œuvre source de leur inspiration. Ils relèvent de la masse des représentations détournées qui ont fait florès dans la lignée des créations surréalistes des années 1920, notamment celles du peintre Marcel Duchamp. Ces images se veulent souvent une parodie et sont très nombreuses sur carte postale comme Serge Zeyons l’a montré dans ces colonnes (11). Deux exemples philatéliques issus de cette veine (Figures 40 et 41).
Vignettes abusives ou illégales Terminons par les fabrications des pseudos-émetteurs pointées par la Fédération Internationale de Philatélie qui les juge, tout comme la FFAP, indésirables dans les expositions qu’elles patronnent : pays du Golfe des années 1970, pseudos États issus de l’ex-URSS, îles écossaises, différents pays africains, etc. Il s’agit d’émissions abusives voire illégales sans aucune valeur d’affranchissement que les philatélistes avisés se gardent de prendre pour des timbres-poste, même s’ils peuvent être légitimement tentés par une relative qualité de reproduction et par l’intérêt de la vignette du point de vue de l’histoire de l’art. Bien entendu, chacun collectionne ce qu’il veut, mais tant qu’à faire, autant le faire à bon escient. Parmi les plus fréquemment proposées sur le marché, mentionnons dans cette rubrique : . Arabie-Ras al Khaima, 1968, . Arabie –Seyun, 1967, . Ajman, 1970, . Comores 2004 . Davaar, pseudo-émission écossaise . Granada-Cariacou . Liberia 2003 . Russie 2011, pseudo-poste privée . Sao Tomé 2004, 2005 . Turkménistan 1999, 2000. _______________________________________________________________________________________________ 11 Serge Zeyons, On a volé la Joconde, Timbres-magazine, n° 125, juillet-août 2011, page 80. |