Si oui, c’est que la philatélie de Nouvelle-Calédonie n’a sans doute pas beaucoup de secrets pour vous. Si non, prenez connaissance de ce qui suit. Et commencez par examiner de près cette lettre.
Le timbre-à-date nous apprend que la lettre est partie de Port de France le 23 mars 1862 : une localité fondée huit ans plus tôt, le 25 juin 1854, par les militaires français au sud-ouest de la Grande Terre pour servir de chef-lieu à la colonie de Nouvelle-Calédonie, simple garnison qui deviendra rapidement une petite ville et prendra le nom de Nouméa le 2 juin 1866.
Le destinataire demeure à Napoléonville / Kanala (Canala), localité reliée à la capitale par la première route postale de l’île : un service des plus rudimentaires assuré par le chef de la tribu Titema, sous la surveillance du destinataire de la lettre, un certain Pannetrat, à la fois colon, juge de paix et introducteur de la perdrix de Californie, établi à Kanala en 1855.
L’affranchissement est de 10 centimes : montant de la taxe instaurée le 1er janvier 1860 sur toute lettre mise à la poste de Port-de-France, selon l’avis paru dans le Moniteur Impérial des 2 octobre 1859 et confirmé le1er janvier suivant. Un timbre-poste bien singulier la représente :
Le Catalogue Yvert et Tellier lui a tout naturellement attribué le n° 1 des timbres calédoniens. Il le cote 300 euros en neuf et signale 50 variétés! Particulièrement rare seul sur lettre, il s’échange à beaucoup plus puisque deux plis seulement sont connus [ [i] ]. En revanche, les faux sont très nombreux. Au point qu’un catalogue allemand de 1889 ira jusqu’à remettre en cause la légalité de l’émission, accusant son créateur de l’avoir imprimée pour son compte !
On la doit à un certain Triquera, Louis de son prénom, qui fut sergent de l’Infanterie de Marine, illustrateur et lithographe du Moniteur Impérial, qui avait été démobilisé sur place et nommé commis de l’imprimerie gouvernementale. Il la réalisa en gravant un calcaire argileux, à pâte tendre, sur lequel il reproduisit cinquante fois le profil de l’empereur en s’inspirant du Napoléon III non lauré figurant alors sur les timbres métropolitains (voir plus loin). Dans chacune des cases, d’une largeur variable de 18 à 21 mm., l’artiste traça le visage impérial avec d’infinies variétés : tout diffère donc d’un timbre à l’autre, jusqu’au cadre qui n’est pas toujours identique.
Notons en passant une faute d’orthographe commise par Yvert qui attribue le timbre à un dénommé Triquérat. Interrogé par nos soins, Yann Paullic, président du Groupement philatélique Le Gagou confirme l’erreur en s’appuyant sur Georges Kling, le grand spécialiste de l’histoire postale calédonienne : « Ce "t" final résulte d'une confusion due au paraphe dont l'intéressé terminait sa signature et qui ressemble à la lettre "t". Mais la véritable orthographe est bien Triquera. » nous a t’il écrit [[ii]]. Ajoutons que c’est aussi celle de la rue de Nouméa dédiée au sergent-graveur [[iii]]. A fortiori, les appellations Trinquera ou Trinquerat, parfois rencontrées, sont, pour leur part, complètement fantaisistes.
L’orthographe exacte est d’ailleurs lisible sur le timbre commémoratif des 150 ans émis en 1999 qui apporte en quelque sorte « la preuve par 9 » ! ( voir YT 799 et Bloc 22).
Les autres timbres postaux à l’effigie de Louis-Napoléon Bonaparte
Empereur des Français sous le nom de Napoléon III, Louis-Napoléon Bonaparte a figuré sur les séries de timbres d'usage courant de France et de ses colonies de septembre 1852 jusqu'à la chute du Second Empire. Ses séries furent remplacées par le type Cérès en urgence pendant la guerre franco-allemande de 1870, type qu'elles avaient elles-mêmes remplacées.
Ci-dessous le timbre non-dentelé des Colonies de l’Empire ▼
Chronologiquement le premier est le Prince-Président Louis-Napoléon Bonaparte, dit « Présidence ». Elu par 74% des suffrages, le 10 décembre 1848, le Prince Louis-Napoléon Bonaparte devient le premier Président de la République Française, pour 4 ans. Après le Coup d'État du 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte est nommé « Président » pour dix ans, ce qui prélude au retour d'un régime personnel, et à la restauration de l'Empire. Une loi du 3 janvier 1852 prescrit le remplacement de l'effigie de la République (dite « Cérès ») par l'effigie du Président. Ainsi deux valeurs sont émises, conformes à ces nouvelles dispositions, non dentelées et imprimées en typographie : en septembre 1852 un timbre de 25 centimes de couleur bleu puis en décembre 1852, un timbre de 10 centimes de couleur bistre. Dessiné et gravé par Jacques-Jean Barre, le timbre reprend le cadre des Cérès dont l'effigie est remplacée par celle du Prince Louis-Napoléon Bonaparte. De profil, il regarde vers la gauche, tête nue. La légende en est : « REPUB FRANC » et le « B » sous le cou du profil est l'initiale du graveur. Ici ▼
Le suivant est le Napoléon III tête nue, dit « Empire ». À partir de septembre 1853 commence l'émission de timbres de même graphisme que ceux de 1852, avec la même effigie de Louis Napoléon Bonaparte, mais avec deux différences : 1/ une légende nouvelle : « EMPIRE FRANC », moins d'un an après le sénatus-consulte du 7 décembre 1852 créant la dignité impériale 2/ la disparition du « B ». Notons que l'appellation « tête nue » pour l'effigie est plutôt employée par les numismates. Effectivement, ce dessin est aussi celui des monnaies, gravées également par le Graveur général de la Monnaie de Paris Jacques-Jean Barre, et mises en circulation au cours de cette période. Les philatélistes parlent plutôt de série « Empire » pour la distinguer de la série suivante, dite « Empire lauré ». Ici ▼
Napoléon III lauré, dit « Empire lauré ».
Aussi connus sous l'appellation « Empire lauré », ces timbres ont trois graphismes qui reprennent la même effigie de l'Empereur des français, Napoléon III, en lui ajoutant une couronne de laurier sur la tête, commémorant les succès de la « Campagne d'Italie ».
Ils portent la légende complète « EMPIRE FRANCAIS ». Ici ▼
Michel Krempper, APN 92, mai 2011
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[[i]] Le 10 c. Triquera a aussi servi en complément d’affranchissement sur du courrier vers l’extérieur.
[[ii] ] Qu’il soit ici remercié pour ses indications.
[[iii] ] Comme cela est facilement vérifiable sur internet.